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Une page d’histoire de la chartreuse du Mont-Dieu, à l’heure de la Terreur et de la Loi des suspects

Quand : 22 septembre 1793 - 20 décembre 1794

Vue d'ensemble | François GOGLINS / CC-BY-SA
Abbaye Révolution Française Emprisonnement Chartreuse du Mont-Dieu

La chartreuse ardennaise du Mont-Dieu, la plus ancienne de France, a été pendant 15 mois transformée en prison, au plus fort de la Terreur !

Le contexte : la Terreur

1793. La Terreur s'est installée en France !

La Convention l'a mise en place pour faire face aux menaces qui pèsent sur la jeune République, offensives royalistes comme contre-révolutionnaires.

Saint-Just clame fin 1793 :

« Il n'y a point de prospérité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera. Vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes... »

La chasse aux suspects est lancée : arrestations arbitraires et exécutions à la chaîne commencent.

21 500 comités révolutionnaires se mettent en place dans tous les départements de France. Une armée de bourreaux, à qui il faut des victimes.

La Loi des suspects du 17 septembre 1793 va aider à cela, envoyant en prison, puis à l'échafaud, les suspects de tous poils.

Un comité révolutionnaire (1795)

Un comité révolutionnaire (1795) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Qui sont les prisonniers du Mont-Dieu ?

Le 22 septembre 1793, l'administration du département des Ardennes élit l'ancienne chartreuse de Mont-Dieu comme prison pour les « suspects » ardennais, considérés comme « ennemis de la Nation. »

Bien souvent de simples gens du peuple, arrêtés arbitrairement après délation et accusations sans preuves.

Mais quels sont les crimes de ces « suspects » ? Qu’ont-ils fait pour atterrir en prison au Mont-Dieu ?

Les motifs des délits sont, pour la plupart, dérisoires, hallucinants ! Tenez :

  • « Envoyé au Mont-Dieu sous prétexte de fanatisme sur la dénonciation de malveillants » ;
  • « soupçonné de complicité avec les tyrans » ;
  • « accusé d'incivisme » ;
  • « conduit au Mont-Dieu pour avoir protesté contre l'inventaire du mobilier de son église » ;
  • « envoyé au Mont-Dieu pour avoir dit que les enfants qui meurent sans baptême sont damnés » ;
  • « arrêté comme suspect, n'ayant pas donné constamment des preuves d'attachement à la Révolution » ;
  • « accusé d'avoir porté la cocarde blanche et de s'être promené avec des officiers émigrés » ;
  • « accusé d'être aristocrate, de ne fréquenter que des aristocrates et d’être dangereux pour l'opinion publique » ;
  • « emprisonné sur la dénonciation d'un patriote, parce qu'il distribuait de l'eau bénite à ses enfants chez lui. »
Un ancien bâtiment de la chartreuse

Un ancien bâtiment de la chartreuse | ©François GOGLINS / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Jusqu'à 670 détenus

On comptera près de 670 détenus dans les prisons de la vénérable chartreuse, fondée en 1132.

Les premiers prisonniers sont des prêtres qui ont refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé. Suivent des gens de toutes conditions.

Les gardiens les dépouillent de tout ce qu'ils portent sur eux et les conduisent dans leurs geôles, les anciennes cellules des chartreux.

Oui, les derniers moines du Mont-Dieu, que l'on comptait sur les doigts de deux mains, avaient été chassés de la chartreuse en 1791…

Mais autant vous prévenir, les conditions de détention… sont terribles !

Assiette Constitution civile du clergé (1791)

Assiette Constitution civile du clergé (1791) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

De terribles conditions de détention

Chaque ancienne cellule monacale sert à enfermer 8 à 10 personnes.

Les membres d'une même famille sont parqués ensemble, avant que les gardiens ne les fassent changer de cellule fréquemment, pour les « tracasser. »

Les prisonniers enfermés pour suspicion devaient tout payer de leurs propres poches, conformément à la Loi des suspects. Y compris... les dépenses du personnel de la prison !

Les prisonniers à qui leurs familles apportaient des vivres se faisaient immédiatement dépouiller par les gardiens.

Un cantinier est bientôt embauché : on décrète aussitôt que la nourriture serait la même pour tous, plus de privilèges !

Cependant, les plus riches pouvaient toujours se procurer plus, moyennant beaucoup d'argent…

Épidémies et brimades

Malgré ces dispositions, les conditions de vie au Mont-Dieu restent très dures.

Les plus aisés, qui avaient tout dépensé pour adoucir leur détention, se retrouvaient au même niveau que les plus pauvres, sans vêtements de rechange, dormant à même le sol, sur de la paille. La nourriture et le pain manquent souvent.

Les commissaires du Mont-Dieu finissent par réclamer davantage à leur supérieur : on finit par donner quelques sacs de céréales de mauvaise qualité.

Privations et mauvaise alimentation finissent par provoquer des épidémies chez des détenus déjà très affaiblis.

Tenez : en 1794, le commissaire en chef de la prison doit appeler un « officier de santé » pour « combattre la fièvre putride qui régnait au Mont-Dieu. »

Vols, brimades, vexations et réveil brutal nocturnes au son du tambour sont aussi le lot quotidien des prisonniers.

« Foutre en bas les statues » !

Mais au fait ? Par qui la prison est-elle dirigée ? Par un certain Boucher, éperonnier de métier, originaire de Sedan ! Dirigée d'une main de fer...

Un bougre connu pour son caractère cruel et ses mœurs dépravées : il a même été dégradé et chassé des rangs de la garde nationale.

S’ajoute à cet individu une quinzaine de personnes : 6 gardes, portiers ou encore adjoints.

En arrivant, Boucher et ses sbires prennent possession des lieux avec un saccage généralisé :

« J’ai fait foutre en bas les statues, les évêques, saint Bruno et toute sa clique. Ces bougres étaient dans leurs niches, et avec l’air de se foutre de la Nation. Ce soir, on fera un feu de joie, on chantera la Carmagnole et nous foutrons aux feux tous leurs livres. Puisse-t-il en être fait autant de tous les aristocrates et de tous les ennemis de la patrie. »

Plus tard, il écrit encore à ses supérieurs :

« J’attends aujourd’hui un couvreur, à qui je donnerai des ordres pour arracher toutes les fleurs de lys qui existent après les croix, tant au clocher qu’ailleurs. Je vous envoie environ 400 livres de plomb qu’on a aussi trouvé dans les chambres, et qui servira à faire sauter le crâne de la tête de nos ennemis. »

Avant d'ajouter qu'il a remarqué la bibliothèque de la chartreuse, qui contient une phénoménale quantité de livres, dont le papier servira à fabriquer... des cartouches !

Mort de Robespierre

Mort de Robespierre | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Fin de la Terreur, fin de la prison du Mont-Dieu

Le 27 juillet 1794, après la chute de Robespierre, ordre est donné de libérer les prisonniers des prisons françaises.

On respire à nouveau, le couperet infernal de la guillotine arrêtait enfin de siffler au-dessus des têtes...

Partout en France, les procès des suspects sont révisés, cassés, les accusés remis en liberté par grappes entières.

Boucher et toute sa clique, qui avaient administré la prison du Mont-Dieu pendant près de 15 mois, finissent exécutés.

Ordre est donné de faire transférer les prisonniers restants à Sedan, le 20 décembre 1794.

Fin de la chartreuse

La chartreuse est finalement vendue au printemps 1795.

Une affiche dit :

« On fait savoir que le 3 floréal l’an III de la République française, une et indivisible (22 avril 1795), à 9 heures du matin, il sera procédé à l’adjudication définitive de la ci-devant chartreuse du Mont-Dieu restée à l’agent national pour 180 000 livres, prix de l’estimation. »

Les acquéreurs (marchands, charpentiers, cultivateurs) livrent la chartreuse aux démolisseurs.

Les bâtiments actuels sont tout ce qu’il reste de l’ancien et gigantesque domaine du Mont-Dieu...

Sources

  • Abbé J. Gillet. La chartreuse du Mont-Dieu, au diocèse de Reims, avec pièces justificatives. 1889.
  • Ernest Henry. Les prisonniers du Mont-Dieu pendant la Révolution. Revue d'Ardenne et d'Argonne, 1906.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !