Oeufs à la coque et philo : la vie que cachait le collège des Bernardins derrière ses murs

De 1245 à 1493

La façadeLa façade | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

Le projet de Lexington... pure vengeance !

1245. L'abbé de l’abbaye cistercienne de Clairvaux, l’anglo-normand Étienne de Lexington, se lance dans un projet ambitieux.

La fondation d’un collège enseignant la théologie, pour les jeunes clercs de son ordre.

Par esprit de vengeance, un peu...

Pourquoi ?

Des moines d’autres ordres l’avaient bien énervé, en racontant partout que ceux de l’ordre de Cîteaux « étaient des ignorants, plus appliqués aux exercices de la cuisine qu’à ceux de l’école » !

Le sang de l’Anglais ne fait qu’un tour.

Paris, lieu de tous les vices !

Pourtant, cette fondation n'est pas simple ! Voici le contexte...

À cette époque, on construit plutôt les monastères cisterciens dans des lieux reculés, pour coller au plus près aux règles de vie de cet ordre : prière, silence et solitude...

Avec son nouveau collège cistercien, Lexington doit convaincre ses supérieurs d'envoyer étudier de jeunes moines à Paris.

Bwaah... le lieu de débauche et de péché par excellence !

Mais il les convainc ! Il faut dire que Paris reste LE plus grand centre intellectuel de l'Europe médiévale...

En plus, au 13e siècle, l'Europe et la France voient petit à petit collèges et universités remplacer les monastères.

Le savoir est en marche...

À noter, tout de même : les Bernardins précèdent de quelques années la célèbre Sorbonne, construite dès 1253 !

Des chardons et des inondations

Et le collège se construit enfin, entre 1248 et 1260 !

Il va pousser sur les 5 hectares acquis entre la Seine et la rue Saint-Victor, au lieu-dit du clos du Chardonnet.

Chardonnet, à cause des chardons qui y poussent comme du chiendent...

Des chardons, et beaucoup d'humidité. Oui, le terrain acquis par Étienne de Lexington subit sans arrêt les inondations de la Bièvre.

Alors pour éviter que le collège ne s'enfonce sous son propre poids dans ce sol instable, on fait reposer les fondations sur des pilotis !

Le collège prend le nom de Bernardins, de « Bernard » de Clairvaux, le fondateur de la célèbre abbaye du même nom.

4h - 21h : une dure journée d'études !

Le collège, composé d'un scriptorium, d'une grande salle voûtée au rez-de-chaussée, d'un réfectoire et d'une salle de classe, sert à la fois de lieu d'études et de monastère...

On y prie... on y bosse surtout, durement !

Levée à 4 h du matin, la cinquantaine d'étudiants alterne prières, leçons de philosophie et de théologie jusqu'à environ 21 h.

Des étudiants rationnés

Mais dès le début, le collège n’a pas un sou. Pourtant, on se rationne.

Un certain Claviger sert les repas aux étudiants : un pain et une petite chope de vin par repas.

Les jours maigres, on distribue deux œufs à la coque et deux harengs rôtis, une demi-livre de bœuf bouilli, les jours de chair.

L'assemblée de 1493 : quelque chose de pourri chez les cisterciens ?

Les étudiants triment dur, le ventre quasi vide, dans la pure règle cistercienne : austérité et prière.

Mais respectait-on vraiment tout à la lettre ?

Des doutes planent peut-être !

Je dis ça, car en 1493, sur ordre du pape Innocent VIII, une assemblée d'abbés se réunit dans une des salles du collège.

  • On décrète que les femmes ne seraient désormais plus les bienvenues (aaah, l'ont-elles été un jour ?), sauf de très vieilles matrones chargées des soins de la basse-cour ;
  • défense aussi de fréquenter les cabarets et autres tavernes ;
  • terminée, cette manie de dormir sur des matelas de plumes et dans des chemises de lin, en se dorant les fesses dos à la cheminée : désormais, on tentera de fermer l’œil à même le sol sur de la paille, dans des chemises qui grattent ! De toute façon, on avait construit un mur de 8 m, tout autour du collège ! Impossible de goûter les mille tentations qu’offre la ville…

Sources

  • Jacques Hillairet. Connaissance du Vieux Paris. Éditions Princesse, 1963.
  • Alfred Franklin. Les anciennes bibliothèques de Paris, églises, monastères, collèges. 1873.
  • Histoire littéraire de la France (tome 19). 1838.
  • Joris-Karl Huysmans. La Bièvre et Saint-Séverin. 1898.