Napoléon Ier et la prairie de la Rencontre à Laffrey

Du 1 au 7 mars 1815

Prairie de la RencontrePrairie de la Rencontre | ©*pascal* / Flickr / CC-BY

Le 7 mars 1815, Napoléon Ier se retrouve nez à nez avec l’armée royaliste en Isère, de retour de son exil de l'île d'Elbe ! Le lieu a pris depuis le nom de Prairie de la Rencontre.

Quel est le contexte ?

Cet épisode fait partie de l’épopée napoléonienne. Nous voilà en pleine période des Cent-Jours, qui se déroule entre le 1er mars et le 7 juillet 1815 !

Napoléon Ier a fui son exil de l'île d'Elbe, sur laquelle les coalisés l'avaient envoyé après sa première abdication, en mai 1814.

Le voilà qui revient en force !

Débarqué en France le 1er mars 1815 à Golfe-Juan, sur la côte méditerranéenne, il entame une remontée express vers Paris, afin de reprendre le pouvoir, aux côtés de 1200 fidèles soldats.

Napoléon débarque à Golfe-Juan (1815)Napoléon débarque à Golfe-Juan (1815) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

L'empereur remonte vers Paris !

L'empereur remonte donc la France depuis la Provence. Par les Alpes, via Grasse, Digne, Gap...

Le 7 mars 1815, le voilà qui se dirige vers Grenoble. Avec un passage par Laffrey et son grand lac.

La marche folle de Napoléon Ier vers la capitale paraît ne connaître aucun obstacle ! À moins que ?...

À cet endroit étroit, connu sous le nom de défilé de Laffrey, les troupes royales envoyées par Louis XVIII l'attendent, pour arrêter sa progression !

Vous vous doutez bien que la nouvelle du retour de l’empereur s’est répandue en France comme une traînée de poudre...

À Grenoble, deux hommes ont appris que Napoléon approchent :

  • le préfet de l’Isère et mathématicien Joseph Fourier ;
  • le lieutenant Jean Gabriel Marchand, commandant la 7e division militaire.
Laffrey et son lacLaffrey et son lac | ©*pascal* / Flickr / CC-BY

Ascension... et retournement de veste

Jean Gabriel Marchand ? Ah ! Cet avocat au parlement de Grenoble, sous Louis XVI, s’était enrôlé pendant la Révolution française parmi les volontaires de l’Isère :

  • devenu capitaine, des vents favorables sous l’Empire le poussent jusqu’au grade de général, puis Napoléon (qu’il sert fidèlement) le créé comte de l’Empire, avec une très belle rente ;
  • les Bourbons, de retour au pouvoir en 1814, bien contents de son retournement de veste et son zèle envers la monarchie, confirme ses titres et privilèges.

Marchand n’attendait plus rien de l’empereur...

L'empereur à cheval (H. Vernet, 1850)L'empereur à cheval (H. Vernet, 1850) | ©Rijksmuseum / CC0

Barrer la route de Napoléon !

Bref ! Pour barrer la route de l’empereur, Marchand envoie son bataillon, sous les ordres du commandant Delessart (un ancien des guerres napoléoniennes, encore un).

Leur but, là, tout de suite ? Faire sauter le pont dit Pont-Haut, au village voisin de La Mure. Mais le maire proteste, les soldats rechignent à la tâche...

Delessart abandonne donc l’idée et replie ses troupes à Laffrey, pour prendre position entre lac et montagnes, à un endroit stratégique.

Napoléon, arrivé à ce moment en fin de matinée à La Mure avec son état-major, ses grenadiers et un peloton de chevau-légers polonais, apprend que le bataillon grenoblois les attend devant Laffrey.

Impossible... de passer sans livrer bataille !

Prairie de la RencontrePrairie de la Rencontre | ©Michiel Hendryckx / Wikimedia Commons / CC-BY

« Mais enfin, tirerez-vous ? »

À Laffrey, le commandant Delessart et son bataillon rencontrent l’état-major de Napoléon. Auprès de Delessart se trouve le jeune Randon : neveu de Marchand, futur maréchal du Second Empire.

Un officier de l’empereur vient parlementer avec Delessart. Celui-ci dit fermement :

« — Je suis déterminé à faire mon devoir, et si vous ne vous retirez pas sur le champ, je vous fais arrêter. »

« — Mais enfin, tirerez-vous ? »

« — Je ferai mon devoir ! »

Delessart, comme tous les autres, a juré fidélité à Louis XVIII... mais pas leurs troupes !

Napoléon envoie ensuite son aide de camp, le capitaine Raoul :

« — L’empereur va marcher vers vous. Si vous faites feu, le premier coup de fusil sera pour lui. Vous en répondrez devant la France. »

Silence de mort. Face à la fébrilité palpable qui s’empare des soldats, Delessart souffle à Randon :

« — Comment engager le combat avec des hommes qui tremblent de tous les membres et qui sont pâles comme la mort ? »

Avant d’ordonner à ses troupes : « Bataillon... Marche ! »

Napoléon Ier et ses troupes (C. Rochussen, 1850)Napoléon Ier et ses troupes (C. Rochussen, 1850) | ©Rijksmuseum / CC0

Napoléon face à son destin dans la prairie de Laffrey

Napoléon à cheval, qui observait l’ennemi à la lunette, finit par s’élancer à sa rencontre. Il a ordonné au colonel qui commande les grognards de baisser leurs armes.

À une portée de fusil des troupes royales, il met pied à terre dans la prairie de Laffrey.

Il s'avance seul. Les soldats l’ont mis en joue. Ils ont reçu l’ordre de tirer... Mais pas un ne bouge !

Randon a pourtant hurlé : « — Le voilà !! Feu !! »

Silence dans les rangs. Deuxième sommation ! Un des soldats de l’avant-garde tourne la tête et demande calmement : « — Est-ce mon chef de bataillon qui me commande de faire feu ? »

Randon s’égosille : « — Feu !! »

Le soldat répond : « — Je tirerai si mon chef de bataillon me l’ordonne. »

Le chef en question restant muet... le soldat relève son arme !

Napoléon Ier ( L. Marta, 1830)Napoléon Ier ( L. Marta, 1830) | ©The Metropolitan Museum of Art / CC0

Tirer... ou ne pas tirer sur l'empereur ?

Napoléon s'approche toujours plus près de l’ennemi. Soudain, il ouvre les pans de sa redingote, montrant sa poitrine :

« — C'est moi, reconnaissez-moi. S'il y a parmi vous un soldat qui veuille tuer son empereur, qu'il fasse feu, voilà le moment ! »

La phrase fait mouche, instantanément ! Les soldats lâchent leurs armes... et se ruent sur Napoléon, hurlant un féroce et joyeux « — Vive l'empereur ! »

On l’entoure chaleureusement, on touche ses bottes, sa redingote... comme une apparition miraculeuse, un dieu vivant. Incroyable !

Delessart s’approche lui aussi tout penaud : il remet son épée à l’empereur, qui le serre dans ses bras !

Le bataillon de 5e de ligne vient grossir les troupes de Napoléon, qui poursuit son vol implacable vers Paris.

Napoléon Ier par Frémiet, LaffreyNapoléon Ier par Frémiet, Laffrey | ©Patafisik / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

La statue commémorative de l’empereur à Laffrey

Vous n’avez pas pu la rater ! Au milieu de la prairie de Laffrey trône la statue équestre de Napoléon Ier, signée Emmanuel Frémiet.

On doit à ce sculpteur talentueux l'archange au sommet de la flèche du Mont-Saint-Michel, ainsi que la Jeanne d'Arc dorée à cheval, place des Pyramides (Paris) !

Si vous saviez… il a fallu des années de projets inachevés, de commandes annulées ou reportées, d'artistes qui se succèdent et abandonnent, avant que la statue ne voit le jour ! Frémiet remporte finalement la commande, en 1866.

  • À la base, elle se trouve, en août 1868, sur la place de Verdun, à Grenoble ;
  • elle est démantelée en 1870 à la chute du Second Empire : les jambes du cheval sont coupées, Napoléon décapité !
  • On la réinstalle en 1930 à son emplacement actuel, dominant le lac de Laffrey.

Sources

  • Dossier de presse Rencontre avec Napoléon : un empereur à cheval pour la postérité. Musée de la Révolution française, 2015-2016.
  • Gabriel Faure. Napoléon à Laffrey (7 mars 1815). In Revue des Deux Mondes (tome 26). 1915.
  • Jean Tulard. Les vingt jours : Louis XVIII ou Napoléon ? Fayard, 2001.
  • Gilbert Stenger. Le retour de l'Empereur : du Capitole à la Roche Tarpéienne, l'immolation. 1910.
  • Alain Decaux. Alain Decaux raconte l'histoire de France. Perrin, 2015.