Incroyable !
Le 22 avril 1630, le nonce du pape, Francesco Bagni, écrit à Rome cette nouvelle incroyable :
« C'est avec un grand étonnement que la Cour a vu que le Roi, contrairement à l'inclination qui était sienne jusque-là, s'est pris d'affection pour une fille de la reine mère appelée de Hautefort. Cet amour est connu de tous et lui-même en a fait part, tout en changeant de visage, à la reine mère. Il lui a demandé la permission de servir ladite dame et de lui parler, tout en protestant qu'il ne s'agirait jamais de mauvais desseins de sa part. »
Qu'on se le dise : le roi de France Louis XIII, 29 ans, était tombé amoureux d'une jeune fille de 14 ans, aperçue à Troyes au mois d'avril 1630.
Son nom ? Marie de Hautefort. Leur histoire, faite de hauts et de bas, durera 9 ans, de 1630 à 1639 !
Une orpheline du Périgord
Marie a passé peu de temps dans le château dont elle porte le nom, et où elle naît en 1616.
Elle y passe son enfance auprès de son grand-père paternel, le marquis François de Hautefort, et de sa grand-mère Mme de La Flotte.
Elle a perdu son père, Charles de Hautefort, et sa mère, Renée du Bellay (parente du poète Joachim du Bellay), alors qu’elle était toute jeunette.
L’avarice du grand-père rend le quotidien peu facile. La mère de Marie écrit :
« Si nous n’avons point de pain, il ne nous en donne pas… de 2800 livres de rente, j’en ai 1400. M. de Hautefort se mêle si peu de me bailler du sien que je n’ai que faire qu’il se mêle du mien… il ne s’inquiète pas de quoi je vis… si l’on m’emprunte, il n’y a plus moyen de subsister, je n’en puis plus... »
Un frère bâtisseur
Marie est la plus jeune d'une fratrie de 7 enfants.
Un de ses frères, Jacques-François, maréchal de camp des armées du roi, est un célibataire endurci, moqué par toute la cour pour son avarice légendaire.
On dit même que Molière s’inspire de lui pour son personnage d’Harpagon, dans L’Avare !
En tous cas, pour faire reconstruire le château de Hautefort au goût du jour, il ne lésine pas sur les moyens.
Le « château neuf » voit le jour dès 1644. Jacques-François d’Hautefort n’hésite pas à détruire la forteresse de ses ancêtres, les Born, pour faire construire le grand corps de logis de style classique, flanqué de sa galerie ajourée.
Du Périgord à Paris, des rêves plein la tête
La grand-mère maternelle de Marie, Catherine Le Voyer de Lignerolles, dame de La Flotte, prend en charge l’éducation de la petite fille.
La vie s’écoule, morose, lentement, entre l’avarice du grand-père et du frère aîné. Une lueur d’espoir, peut-être, chez cette grand-mère, qui a été la filleule de Catherine de Médicis ?
Marie entend souvent parler de la cour, de la reine, des paillettes plein les yeux !
Elle racontera plus tard qu'à l'âge de 11 ans, dans sa petite chambre d’Hautefort, elle se met à prier très fort Dieu « de la faire aller en cour. »
Une prière exaucée en 1629 : Mme de La Flotte obtient la charge de gouvernante des filles d’honneur de la reine-mère, au palais du Luxembourg.
Marie l’accompagne à Paris !
Là-bas, à mille lieues d’Hautefort, Marguerite de Guise, princesse de Conti, la remarque : elle fait monter la petite dans son carrosse, pour une promenade avec elle.
Peu après, Marie se voit nommée fille d'honneur de Marie de Médicis : elle a 12 ans !
Louis XIII, le chevalier servant
Marie de Hautefort a donc 14 ans, en 1630, lorsque Louis XIII, 29 ans, tombe sous le charme.
Louis se confie à sa mère, Marie de Médicis. Il s'est pris d'affection pour la jeune fille, et lui demande l'autorisation d'être son « chevalier servant », tout en se défendant de mauvaises intentions.
Très romanesque, chevaleresque, cette conception de l’amour !
Marie de Médicis rougit, mais remarque la délicatesse du roi, et ne voit pas de raisons de rejeter la demande de son fils.
Louis rend alors souvent visite à Marie : en parfait chevalier servant, il s’habille aux couleurs des Hautefort, « prend soin de paraître devant elle plus élégamment vêtu qu’à son ordinaire, et se montre plus joyeux que d’habitude », rapporte le nonce Bagni dans une lettre.
Sa déclaration !
Le premier geste galant du roi envers Marie, se déroule pendant un sermon avec la reine et la cour, au Louvre.
Allez, disons-le, ça ressemble a une... déclaration !
L'étiquette veut que les filles d'honneur écoutent la messe assises à même la dalle.
Mais Louis prend le coussin de velours sur lequel il est assis, pour le donner à Marie. Celle-ci rougit, lève les yeux... et réalise que toute la cour la dévisage !
La reine-mère lui fait signe de le prendre :
« Elle le mit auprès d'elle sans vouloir s'en servir. Il n'en fallut pas davantage pour lui attirer encore plus de considération qu'auparavant... »
Pour garder Marie à ses côtés, Louis la nomme dame d'atours de son épouse, la reine Anne d’Autriche, en priant celle-ci « de l'aimer et de la bien traiter pour l’amour de lui. »
La reine, après quelques jours de dédain, la prend finalement comme confidente et amie.
L'Aurore... ou la Créature
On décrit Marie de Hautefort comme très belle, blonde. Mais elle change d'humeur comme de tenues !
On le sait grâce aux lettres de Louis XIII, adressées à Richelieu.
Quand Madame se montre aimable, on la surnomme l'Aurore ou l'Inclination. Quand le ciel se couvre, elle devient... la Créature !
Le roi écrit en février 1639 :
« La Créature est de mauvaise humeur. On ne sait comment se gouverner avec elle. Pour ma part, j'y perds mon latin. »
Elle a un « tempérament altier » (c'est Bossuet qui le dit), une nature moqueuse (sans méchanceté).
Louis lui parle pour ne rien dire ? La voilà qui se moque ! Et le roi, tout penaud, s’effondre.
« Elle ne pleure pas, elle rit. Et c’est le roi qui va pleurer chez Richelieu. »
La lettre dans le décolleté !
Le roi déblatère souvent sur ses passions : la chasse, les oiseaux, les chiens. Marie est comme qui dirait rapidement... saoulée !
Devant tant de froideur et de timidité, elle titille le roi.
Un jour, entrant chez la reine son épouse, Louis surprend Marie en train d’échanger un billet avec sa fille d'honneur. Il lui dit de lui donner.
Marie glisse alors la lettre dans son décolleté, en lui disant de venir la chercher !
On assure que Louis XIII pique un fard et prend des pinces en argent près de la cheminée, pour récupérer le papier. Tout, plutôt que de plonger la main dans l’intimité de Marie de Hautefort !
L’a-t-il récupérée ? L’histoire ne le dit pas !
L'orage gronde !
Leurs brouilles soudaines, fréquentes, rendent le roi sinistre. Il reste à l’écart de la cour, livide et muet.
Mlle de Montpensier dit :
« C’était une mélancolie qui refroidissait tout le monde. »
Un jour, le marquis de Monglat rapporte dans ses Mémoires qu’après une énième dispute avec Marie, Louis
« rompit avec elle et ne lui parla plus. Mais il ne lassait pas de l’aimer, car on remarquait qu’il la regardait attentivement ; quand il voyait qu’on y prenait garde, il détournait sa vue d’un autre côté. »
Puis, à son valet de chambre, le roi écrit :
« Je suis en impatience de la voir. Je l’aime plus que tout le reste du monde ensemble. Je veux me mettre à genoux pour lui demander pardon. »
D'exil en exil
Lassée par le caractère changeant de Marie, par sa superficialité, Louis XIII tombe bientôt amoureux de Mme de La Fayette, aussi brune que Marie est blonde.
Un amour plus pur, mais tout aussi platonique... Marie de Hautefort commence à conspirer contre le cardinal de Richelieu.
Premier exil, en 1639 ! Elle reviendra à Versailles après la mort du roi, en 1643.
Un an plus tard, elle épouse le maréchal Charles de Schomberg : elle a 28 ans, lui 43.
S’est-elle calmée pour autant ? Apparemment non ! Elle complote contre Mazarin. Nouvel exil, en avril 1644 !
Quand Marie, devenue veuve en 1656, regagne Paris, elle a la quarantaine. Elle n’a rien perdu de sa superbe.
Elle entre dans les salons littéraires les plus courus de la capitale, où on lui trouve le surnom d’Hermione (clin d'oeil à la petite-fille de Zeus), « allusion à peine voilée à sa fierté, sa spontanéité, son orgueil, sa révolte. »
Elle consacrera la fin de sa vie aux « charités », avant de s'éteindre à l’âge de 75 ans, le 1er août 1691.
Sources
- Juliette Benzoni. Le roman des châteaux de France. Perrin, 2012.
- Georges Imann-Gigandet. Une belle conspiratrice sous Richelieu : Marie de Hautefort, duchesse de Schomberg. In Revue des Deux-Monde (octobre 1963).
- Jean-Christian Petitfils. Louis XIII. 2021.
- Jacques Magne. Marie de Hautefort : le grand amour de Louis XIII. 2000.
- Collectif. Hautefort. Connaissance des Arts, hors série n°155. 2000.