Les petits d’Anne de Bretagne et de Charles VIII endormis pour toujours dans la cathédrale de Tours
Deux petits dont les cœurs ont battu. Qui ont connu la chaleur de bras aimants, la douceur de baisers qui apaisent. Qui ont respiré l’air de la jolie Touraine. Des vies brisées. L’absence cruelle après la joie, pour ceux qui restent. On a beau être rois, on n’est jamais préparé à cela. Même pas Anne de Bretagne et Charles VIII, écrasés par la culpabilité...
Des petits corps de marbre
Odeur d’encens et de bougies froides. Le silence s’impose, impressionnant. Un petit jour frisquet perce par les vitraux. Vous me suivez ? Je vais vous montrer un beau tombeau Renaissance. Celui de deux enfants d’Anne de Bretagne et de Charles VIII, morts tout petits.
Vous les voyez, ces petits gisants façonnés par le sculpteur d’Anne, Michel Colombe ? Comme paisiblement endormis pour l’éternité. « Si petits dans l’immensité de la cathédrale de Tours », rapporte l’historien d’Anne Georges Toudouze...
- Voilà d’abord Charles de France, né en septembre 1496... mort à peine un mois plus tard au château de Plessis-lez-Tours ;
- Charles-Orland, né en 1492, mort à 3 ans de rougeole au château d’Amboise. Le tout premier fils du couple : Charles a 21 ans, Anne 16, à sa naissance.
Toutes les précautions ne remplacent jamais la présence d’une mère
De lointaines obligations
Tous les soins sont pris pour le petit. L’héritier ! Placé sous l’invocation de la Vierge, on confectionne à Charles-Orland un drap d’argent, pour qu’il ait bien chaud, et on lui donne un petit sifflet doré. Il ne manquera de rien ! Pas d'amour, en tous cas. Mais la fatalité s'en mêle. Comment ? En amenant maladie et chagrin...
Charles et Anne doivent partir préparer la guerre d’Italie. Un crève-cœur. Imaginez ! Vous devez laisser votre bébé, la chair de votre chair. Seul. Dans des mains de personnes de confiance, oui, mais pas vos mains à vous. Qui calmera ses larmes ? Qui veillera sur lui ?
Le cœur gros, ils laissent le bébé à Amboise avec une tonne de recommandations écrites.
- 100 soldats écossais gardent les portes du château ;
- Un chambellan surveille la porte de la chambre.
Et si ?...
Mais Anne tremble sans arrêt. Ses pensées filent à 100 à l’heure. S’emballent. Déraillent.
« — Et si... si... si une mort suspecte arrive dans la ville ? » gémit-elle.
« — Calme-toi », murmure Charles à son épouse. « La solution, c’est que plus personne n'y entre ou ne sorte. »
« — Mais... et... dans le cas d’une maladie contagieuse ? »
« — On devra tout faire pour emmener le petit en lieu sûr. »
- Même une simple promenade à l’extérieur, en litière, devenait une vraie expédition... la chasse étant interdite aux abords du château, ces jours-là ;
- les nobles de toute la région devaient être disponibles à la moindre alerte ;
- on devait donner des nouvelles de l'enfant au roi le plus souvent possible.
Un couple dans leurs obligations pesantes, si loin, mais tellement inquiet pour leur petit ! Présents de tout leur être pour lui, malgré la distance.
Les malheurs d’Anne
Chienne de vie. Saleté de destin. Toutes ces précautions n’empêchent pas le petit Charles-Orland d’attraper la rougeole et de mourir... Anne apprend l’indicible à Lyon. Choquée. Comme folle. Culpabilisant d’avoir été si loin...
Amboise porte malheur à Anne. En emportant son petit, plus trois autres bébés. Puis son mari, son Charles, un après-midi d’avril 1498. Après un choc à la tête mortel contre un linteau de porte.
Anne sera mère pour de bon, un jour, avec son deuxième mari, Louis XII. Avec la petite Claude de France, future reine de France aux côtés de François Ier...
- Oh, au fait ! Savez-vous pourquoi Anne a choisi le prénom Claude, pour sa fille ? Et d’où vient le prénom original de Charles-Orland ?
Sources
- Antoine Le Roux de Lincy. Vie de la reine Anne de Bretagne. 1860.
- Georges Toudouze. Anne de Bretagne, duchesse et reine. 1950.
- Augustin Cabanès. Mœurs intimes du passé : enfances royales de Charles VI à Louis XIV (tome 7). 1920.