Un labyrinthe ésotérique ?
Un mystère
Les grottes se trouvent au cœur du domaine viticole (Saint-Émilion) du château de Ferrand, à Saint-Hippolyte (33).
Mais on a quoi, là, exactement ? Des grottes ? Un labyrinthe de pierre ? Le tout saupoudré d’un peu d’ésotérisme ?
Un mystère...
On s’est toujours interrogé sur le sens de ces grottes depuis leur création au cours du 17e siècle, par le propriétaire du château : un certain Élie de Betoulaud (1631-1709).
Avocat au parlement de Bordeaux et poète à ses heures perdues, sous le nom de Damon...
Élie de Betoulaud, très inspiré
Né dans une famille originaire du Bordelais, Élie conserve le château familial de Ferrand dans lequel il vit, quand il ne se trouve pas à Bordeaux et parfois à Paris.
Et voilà qu’il a dans l’idée de créer quelque chose de spécial, ici... des grottes !
À l’époque, on lit beaucoup de livres remplis de choses bucoliques comme L’Astrée (écrit par Honoré d’Urfé), tandis que la mode des grottes artificielles bat son plein.
Voilà une bonne idée, se dit Élie, tout emballé.
En plus ici, on a de nombreuses grottes préhistoriques, avec de la pierre toute tendre à tailler !
Oui, car il ne les a pas creusées de zéro, ces grottes, non : il existait déjà un site troglodyte depuis longtemps ici, peut-être occupé par des protestants ou des Cathares en fuite...
Il n’a fait que les modeler selon ses envies. Élie dédie une grande partie du labyrinthe à Louis XIV.
D’ailleurs, dans son testament, le poète en parle comme d'un « monument éternel de la gloire du roi Louis le Grand » !
On suit Damon pour la visite ?
Coquillages, corail et dieux romains
Aujourd’hui, il reste peu de choses de ces grottes.
Mais heureusement, Élie-Damon le poète décrit sa création dans Description des grottes ou du labyrinthe de Damon !
D’abord, on découvre une première grotte, puis une terrasse avec deux cabinets de verdure pleins d’orangers.
Ensuite, des galeries courent de chaque côté de la deuxième grotte, garnies de niches avec bustes de dieux romains, encadrées d’orangers et de coquillages argentés, roses et noirs.
Dans ces galeries s’ouvre une arcade qui conduit dans un salon flanqué d’un lit pour se reposer et de vases pleins de « bouquets de fleurs, de coquillages mêlés de branches de corail. »
Lauriers roses en plein hiver
Plus loin, un cabinet « garni de limaçons d’Orient, de coquilles tigrées et de coupe de marbre serpentin, d’albâtre, de nacre, de cristal et de porcelaine. »
Ensuite, une « grotte lyrique », avec ses sièges, ses orangers et jasmins d’Espagne.
On est là comme dans des serres chaudes, très agréables l’hiver.
À la suite de cela, voilà la longue et fameuse galerie conçue comme un cloître ouvert sur la vallée de la Dordogne.
L’été, on y prend le frais et l’hiver on y vient se promener entre deux rangs d’orangers, de jasmins et de lauriers roses : des plantes méridionales en plein frimas, le comble du luxe !
Le poète finit par dire :
« On est obligé d’avouer qu’il a fallu beaucoup de travail, de dépenses, d’application et de temps pour achever un si grand ouvrage dans un rocher qui était, en certains endroits, aussi dur que le fer même, mais Louis le Grand a tout fait surmonter et Damon a cru s’il ne vivrait ni ne mourait content qu’il ne marquait par quelque chose d’éternel, son zèle et son admiration pour le plus grand des rois. »
La nature reprend toujours ses droits
Quand vient la Révolution, c’est l’arrière-petit-neveu d’Élie qui vit au domaine : le marquis de Mons de Dunes.
Mais, menace de la guillotine oblige, il doit émigrer et laisse tout en plan.
C’est fou comme la nature reprend vite ses droits, comme les nacres et les bustes se ternissent et finissent par disparaître... en quelques décennies, tout a pratiquement disparu.
La visite des grottes
Même si la propriété est privée, il est possible de visiter les grottes en suivant le parcours balisé.
On découvre le labyrinthe et surtout le balcon au-dessus de la Dordogne, à flanc de falaise : 40 m de long sur 2 m de haut !