L'enfance de Talleyrand chez sa grand-mère au château de Chalais

De 1758 à 1760

La courLa cour | ©Jack ma / CC-BY-SA

« C’était un personnage étrange, redouté et considérable ; il s’appelait Charles-Maurice de Périgord ; il était noble comme Machiavel, prêtre comme Gondi, défroqué comme Fouché, spirituel comme Voltaire et boiteux comme le diable. »

Victor Hugo, dans Choses vues (1838), nous donne ici un très bon résumé de la vie du plus grand diplomate de tous les temps, qui installe Napoléon sur le trône impérial et passe son temps à comploter dans son dos !


Figurez-vous que Talleyrand passe une partie de son enfance au château de Chalais, chez son arrière-grand-mère... Retour sur un moment très émouvant de sa vie !

Les circonstances de son arrivée à Chalais

Charles-Maurice est fragile, enfant. Atteint de dysenterie, il a failli mourir l’année de sa naissance, en 1754. Il a 4 ans, quand sa nourrice le laisse tomber : il se démet le pied. Vilaine blessure qu'on ne voit pas tout de suite (il ne se plaint pas, non plus)... Mais c’est trop tard. Maurice souffrira d’un pied-bot toute sa vie (d'où son surnom de Diable boiteux).


Alors que ses parents ont perdu leur fils aîné en 1757, ils confient ce petit Maurice si fragile, dont ils ne savent que faire, à son arrière-grand-mère, la princesse de Chalais.


Histoire de le requinquer, au bon air de la campagne charentaise. Rassurez-vous... cela s'annonce comme une bouffée de bonheur, dans l’enfance si triste et amère du petit !

Qui est la fameuse grand-mère ?

Celle que Talleyrand appelle sa grand-mère est en fait sa bisaïeule paternelle : Marie-Françoise de Rochechouart ! Fille du duc de Mortemart, lui-même neveu de la célèbre Madame de Montespan (la maîtresse de Louis XIV).


Marie-Françoise doit son nom Chalais à son deuxième mari : Louis-Jean de Talleyrand, prince de Chalais.

La famille des Talleyrand-Périgord

Très vieille famille périgourdine, la lignée des Talleyrand-Périgord remonte à Hugues Capet. Rien que ça ! Ils n'ont pas froid aux yeux. Cela se vérifie lorsque le premier roi capétien lance au premier Talleyrand le célèbre : « Qui t'a fait comte ? » Et l'autre répond : « Qui t'a fait roi ? » Une répartie cinglante qui va très bien, avec cette famille orgueilleuse et belliqueuse, riche à foison de titres et de terres...

Le quotidien du petit Maurice de Talleyrand à Chalais

Charles-Maurice passe 18 mois, entre 1758 et 1760, de ses 4 ans et demi à ses 6 ans, auprès de cette vieille dame.


Un séjour qui le marque beaucoup, et qu’il détaille dans le tome 1 de ses Mémoires. C'est de ce livre, dont nous tirons les extraits qui suivent !

Goûter le bonheur d’aimer...

« Mme de Chalais était fort distinguée. Son esprit, son langage, le son de voix, avaient un grand charme. Je lui plus. Elle me fit connaître un genre de douceurs que je n’avais pas encore éprouvé. C’est la première personne de ma famille qui m’ait témoigné de l’affection, et c’est la première aussi qui m’ait fait goûter le bonheur d’aimer. Grâces lui en soit rendues ! Oui, je l’aimais beaucoup ! Sa mémoire m’est encore très chère. Que de fois dans ma vie je l’ai regrettée ! »

Temps révéré et chéri

« Le temps que j’ai passé à Chalais a fait sur moi une profonde impression. Les mœurs de la noblesse en Périgord ressemblaient à ses vieux châteaux ; elles avaient quelque chose de grand et de stable ; la lumière pénétrait peu, mais elle arrivait douce. [...] Quelques vieillards dont la carrière de cour était finie, aimaient à se retirer dans les provinces qui avaient vu la grandeur de leur famille. La Révolution même n’est pas parvenue à désenchanter les anciennes demeures où avait résidé la souveraineté. Elles sont restées comme des vieux temples déserts dont les fidèles s’étaient retirés, mais dont les traditions soutenait encore la vénération.

« Chalais était un des châteaux de ce temps révéré et chéri. »

Dans l’apothicairerie

Vient le moment d'après la messe, le dimanche ! Un rituel bien établi...

« Au retour de la messe, on se rendait dans une vaste pièce du château, l’apothicairerie. Là, sur des tablettes étaient rangés de grands pots renfermant divers onguents, dont on avait la recette au château. Dans la pièce précédant l’apothicairerie étaient réunis tous les malades qui venaient demander secours. Nous passions au milieu d’eux en les saluant. Mlle Saunier, la plus ancienne femme de chambre de ma grand-mère, les faisait entrer l’un après l’autre. Ma grand-mère était dans un fauteuil de velours, devant elle une table noire de vieux laque. Sa robe était de soie, garnie de dentelles. Deux sœurs interrogeaient chaque malade sur sa blessure. Elles indiquaient l’onguent qui pouvait les soulager. Ma grand-mère désignait la place où était le remède. Un des gentilshommes qui l’avait suivie à la messe allait le chercher. Un autre apportait le linge. J’en prenais un morceau et ma grand-mère coupait elle-même les compresses dont elle avait besoin. Le malade emportait des drogues pour sa médecine. »

Des souvenirs

« Les souvenirs que je voyais, ce que j’entendais dans ces premiers temps de ma vie sont pour moi d’une douceur extrême. Je dois vraisemblablement à ces années l’esprit général de ma conduite. Si j’aime, si je respecte les vieilles gens, c’est à Chalais, c’est près de ma grand-mère que j’ai puisé tous les bons sentiments. »

Conclusion !

À Chalais, le petit Maurice apprend aussi « à lire, à écrire et à parler un peu le périgourdin. » Puis, écrit-il, « je quittai ma grand-mère avec des larmes que sa tendresse me rendit. »


Maurice a 6 ans. Ces 18 mois à Chalais l'ont changé à jamais ! Voilà le petit prêt à devenir le futur énigmatique et cynique diable diplomate…