L'histoire derrière la grâce du général Bonchamps, agonisant à Saint-Florent-le-Vieil
En deux mots
L'église actuelle de l'ancienne abbaye, fondée au 10e siècle, date du 18e siècle.
À l'intérieur trône le tombeau du général royaliste Charles de Bonchamps, réalisé par le très républicain sculpteur David d'Angers, en 1825 !
Républicain, oui : mais le général avait gracié le père de l'artiste, avec 5 000 autres hommes enfermés dans l'église abbatiale de Saint-Florent, en pleine guerre de Vendée. Un geste que d'Angers n'oubliera jamais...
Il sculptera cette statue de Bonchamps, mortellement blessé, main levée dans un ultime sursaut, avec cette inscription « Grâce aux prisonniers. »
Mais que s'est-il passé ici, en octobre 1793 ?
Quel est le contexte ?
En mars 1793, la Convention nationale décrète la levée de 300 000 hommes, dans toute la France, pour combattre dans les armées révolutionnaires sur le front de l'Est, contre les monarchies coalisées qui attaquent la France.
Des hommes de l'Ouest de la France, principalement de Vendée, refusent cet enrôlement autoritaire.
C'est le début des guerres dites de Vendée : les Républicains (les Bleus) affrontent les royalistes (les Blancs), majoritaires dans l'Ouest de la France.
Le général Bonchamps fait partie de ces derniers. Bonchamps ? Mais qui est-il ?
Qui est Bonchamps ?
- Originaire de l'actuel département du Maine-et-Loire, Charles Melchior Artus de Bonchamps voit le jour en 1760, dans une famille de la petite noblesse angevine ;
- engagé très tôt dans l'armée, il participe à la guerre d'indépendance des futurs États-Unis d'Amérique, puis part servir aux Indes, où il manque d'y laisser sa peau ;
- de retour en France juste avant la Révolution, les insurgés vendéens lui proposent en 1793 de prendre la tête de la rébellion de la région des Mauges, en val d'Anjou ;
- Bonchamps et son armée participent aux grandes batailles et plus brillantes victoires de l'armée royaliste, pendant les guerres de Vendée. Comme celle de Cholet, en octobre 1793, où la destinée tragique du général allait se jouer...
La dernière bataille de Bonchamps
17 octobre 1793. La bataille de Cholet vient de se terminer. Dans la poussière et le sang.
L'armée royaliste de La Rochejaquelein et Bonchamps (40 000 hommes) s'est fait battre par l'armée républicaine de Kléber (27 000 hommes).
« Les rebelles combattaient comme des tigres et nos soldats comme des lions », dira plus tard ce dernier sur cette bataille sanglante, qui dure 6 longues heures.
L'une des plus importantes de la première guerre de Vendée (1793-1795), car elle voit le premier échec majeur des Vendéens, qui ne s'en relèveront jamais.
À Cholet, surtout, Bonchamps a été mortellement touché au ventre. Son armée doit se replier. Cap sur Saint-Florent-le-Vieil.
Là, les 700 000 hommes, femmes et enfants de l'armée vendéenne traverseront la Loire afin de se rendre en Normandie, attendre une possible aide britannique.
Mais que faire des 4000 à 5000 prisonniers républicains, pris pendant la bataille ?
Les prisonniers parqués à Saint-Florent
Les prisonniers sont conduits à Saint-Florent-le-Vieil et enfermés à l'intérieur des vastes murs de l'abbaye.
On a transféré Bonchamps dans une maison de Saint-Florent, mortellement blessé.
Une foule compacte s'est rassemblée devant l'église abbatiale. La même question revient toujours : que faire de ces prisonniers ?
On ne peut pas leur faire passer le fleuve, comme c'est prévu. On manque déjà d'embarcations pour transférer l'armée vendéenne et la population...
En urgence, un conseil se réunit pour décider de leur sort. Le général de Lescure, blessé, sur sa civière, murmure : « Massacrer ces prisonniers serait une horreur ! »
Bonchamps, agonisant, que l'on a porté sur la place de l'église sur un brancard, et qui a assisté au débat, se soulève et souffle : « Grâce, grâce pour les prisonniers… »
Le conseil les entend... et libère les hommes !
La mort de Bonchamps
Les 17 et 18 octobre 1793, l'armée royaliste de Bonchamps, acculée par les républicains, franchit finalement la Loire, dans un calme incroyable.
Pendant 2 jours, on ne voit que des embarcations de fortune, fabriquées avec des barriques, plus une cinquantaine de barques, effectuer des allers-retours sur le fleuve, pour faire traverser l'armée, qui compte aussi femmes et enfants !
Ce sont 70 000 personnes qui traversent le fleuve. Bilan ? Une seule femme noyée !
Mais pour Bonchamps, c'est fini. C’est déjà un cadavre que l'on transporte de l'autre côté du fleuve, à La Meilleraie, petit village de pêcheur : il s'y éteint, à l'âge de 33 ans.
Bonchamps inhumé à Saint-Florent
Le corps de Bonchamps est inhumé dans le cimetière de Varades, dont dépend La Meilleraie : il y reste 24 ans.
En 1817, ses restes sont transférés dans le caveau familial angevin, à la Chapelle-Saint-Florent.
Il y restera en attendant que le tombeau de David d'Angers soit prêt, dans l'église abbatiale de Saint-Florent-le-Vieil... On inaugure enfin le monument le 18 juin 1825.
À la base, celui-ci se trouve dans le chœur de l'église, derrière l'autel. Sauf qu'en 1879, le curé fait restaurer ce chœur, alors en très mauvais état.
Travaux colossaux qui nécessitent le déménagement temporaire du monument, qui se retrouve dans une chapelle latérale.
Temporaire... pas tant que ça ! Le tombeau ne bougera plus !
Le tombeau de David d'Angers
D'Angers est chargé de la réalisation du monument de Bonchamps en 1819.
Une souscription, pour ériger un monument en mémoire du général vendéen, avait été lancée dès 1816.
Mais Lainé, ministre de l'Intérieur, hésite : « A-t-on érigé des monuments à MM. Charette, de La Rochejacquelein (généraux vendéens, ndlr) ? Ne craignez-vous pas que leurs familles ne finissent pas aussitôt valoir leurs titres pour obtenir les mêmes honneurs ? »
Louis XVIII, lui, donne le feu vert ! Mais à une condition : que le monument mette en valeur la magnanimité du général.
Sauf que... la souscription n'a rapporté que peu d'argent ! On doit donc se contenter du premier projet proposé par d'Angers... le moins cher : un simple sarcophage surmonté d'un buste et d'un bas-relief montrant Bonchamps empêchant que l'on tire sur les prisonniers.
Pfff, projet bien trop modeste... alors que D'Angers en avait proposé un 2e, bien plus spectaculaire (le tombeau actuel) ! Ce serait vraiment dommage de passer à côté : on l'adopte finalement en 1819.
Mais la réalisation traîne, faute d'argent. Le Conseil général du Maine-et-Loire parvient à réunir les 43 000 francs nécessaires, après 4 souscriptions successives. Le monument peut être achevé et inauguré en 1825 !
À noter !
La commune de Saint-Florent-le-Vieil a été l'un des bastions des guerres de Vendée !
Pour preuve, un autre épisode : en mars 1793, un des chefs vendéens, Cathelineau, se soulève avec ses hommes à Saint-Florent, contre les Républicains.
Il sera mortellement blessé et viendra mourir à Saint-Florent, en juillet 1793.
Une partie de son corps repose dans la chapelle Saint-Charles (dite Cathelineau), voisine de l'église abbatiale de Saint-Florent.
Sources
- Marguerite Cécile Albrecht, Marie-Rose Albrecht. David d'Angers : regards autour d'un sculpteur. Hérault Éditions, 1991.
- Émile Gabory. Les guerres de Vendée. Robert Laffont, 2009.
- Émile Gabory. Histoire des guerres de Vendée. Perrin, 2015.
- Collectif. La sculpture française au XIXe siècle : catalogue de l'exposition organisée aux Galeries nationales du Grand Palais, du 10 avril au 28 juillet 1986. Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1986.