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Le Familistère de Guise, précurseur des logements sociaux

Quand : 1859 - 1968

Familistère : pavillon central | ©Patrick - Morio60 / Flickr / CC-BY-SA
Familistère de Guise

De quoi s'agit-il ?

Créé en pleine ère industrielle, le Familistère (ou Palais social, selon les propres mots de son créateur, l'industriel Jean-Baptiste Godin) est une vraie cité idéale, au cœur de la Picardie, précurseur des logements sociaux !

Ancien ouvrier inspiré par le socialisme utopique, Godin met à disposition des ouvriers de son usine de poêles des logements tout confort, avec un luxe inédit, normalement réservé aux bourgeois.

Familistère : aile gauche

Familistère : aile gauche | ©Patrick - Morio60 / Flickr / CC-BY-SA

Qui est Godin ? On vous le raconte en deux mots !

Le Familistère naît grâce à l'ancien ouvrier serrurier picard, devenu grand industriel : Jean-Baptiste Godin.

  • Jean-Baptiste Godin naît en 1817 à Esqueheries (Picardie), dans une famille modeste où le père est paysan et serrurier ;
  • il devient ouvrier, entame un tour de France entre 16 et 18 ans, comme compagnon, travaillant d'atelier en atelier : il se heurte aux conditions de vie misérable des ouvriers, dans les grandes villes ; un choc qu'il n'oubliera jamais ;
  • à 20 ans, il revient reprendre l'affaire paternelle, en Picardie, qui entre-temps, s'est mise à fabriquer des poêles de chauffage en tôle. En 1840, Godin s'installe à son compte. Il brevette des poêles en fonte innovants : c'est un énorme succès, la fonte... chauffant mieux que la tôle !
  • la fabrique d'Esqueheries devenue trop petite, Godin achète un premier terrain à Guise, en 1846, pour implanter son usine florissante et ses 30 ouvriers. Un an plus tard, on compte déjà 300 ouvriers ; 700 en 1861 ; 1500 en 1880 !
  • le nom de Godin, devenu une marque, passe très vite dans le langage courant : on disait un godin, pour désigner poêles à charbon ou cuisinières !
J.-B. Godin

J.-B. Godin | ©Archives départementales de l'Aisne / Public domain

Comment l'idée du Familistère est venue à Godin

Godin a arrêté l'école tôt, mais s'est nourri très jeune des écrits de Voltaire, Diderot. Plus encore, c'est l’œuvre du philosophe socialiste utopiste Charles Fourier (1772-1837) qui le marque.

Fourier ? Entre autres concepteur du phalanstère, sorte de cité idéale communautaire, regroupant ensemble de logements et lieu de production !

Godin participe même en 1854 à la tentative de création d'une communauté phalanstérienne au Texas, la colonie de Réunion ! Bon, c'est un fiasco... Godin y perd plumes et argent, mais en tire des leçons pour lui-même.

Car Godin, on l'a vu, sensible lui aussi au bien-être des ouvriers, décide de créer son propre phalanstère, en Picardie : son familistère.

Cuisinière Godin

Cuisinière Godin | ©Patrick - Morio60 / Flickr / CC-BY-SA

Le Familistère voit le jour

Tout en briques rouges, le familistère de Guise voit le jour entre 1859 et 1863, sur les plans de Jean-Baptiste Godin lui-même.

  • Il se compose de 3 bâtiments de 4 étages, comprenant 320 logements : chacun disposant d'une cour intérieure avec verrière ;
  • ajoutez à cela un bâtiment combinant théâtre et école, lavoirs, bains-douches et piscine, ainsi que 2 bâtiments de commerces en tout genre, un café et un restaurant ;
  • un jardin et un kiosque à musique complètent l'ensemble. Le tout situé idéalement face à l'usine de poêles.

Le familistère regroupe 2000 habitants, à la fin du 19e siècle. Énorme, pour une commune qui compte près de 8000 âmes, au tout début du 20e siècle !

Familistère : kiosque à musique

Familistère : kiosque à musique | ©Patrick - Morio60 / Flickr / CC-BY-SA

Le diable se cache dans le détail

Godin imagine offrir à ses ouvriers les « équivalents de la richesse » : les avantages et services normalement accordés aux classes aisées, c'est-à-dire la lumière naturelle et l'espace, l’accès à l'hygiène, aux loisirs, à l'éducation...

En somme, tout ce dont le logis ouvrier de l'époque, petit, sombre et malpropre, ne dispose pas !

Son Palais social doit ainsi répondre à cette problématique, où l'architecture améliore le niveau de vie.

Et où chaque petit détail compte : Godin fait ainsi mesurer les crânes de chacun des enfants des ouvriers, afin de calculer le bon espacement entre les barreaux des balcons... pour qu'aucun ne se coince la tête !

Familistère : cour intérieure du pavillon central

Familistère : cour intérieure du pavillon central | ©Patrick - Morio60 / Flickr / CC-BY-SA

Mixité sociale... et cloisons amovibles !

Cadres et ouvriers habitent les mêmes bâtiments.

Godin, l'ancien ouvrier devenu patron, habite lui-même le Familistère : un appartement de 7 pièces où il possède ses bureaux, qu’il partage avec sa seconde épouse et collaboratrice, Marie Moret.

Chaque habitant du Familistère, quel que soit son salaire, possède la même surface et le même niveau de confort, pour son logement. Le loyer dépend de la surface et de l'étage.

Les cloisons des appartements sont mêmes amovibles, pour agrandir à volonté les pièces !

Des appartements qui bénéficient d'une double exposition et de fenêtres opposées, pour assurer un courant d'air optimum, garant d’une bonne ventilation.

Familistère : piscine

Familistère : piscine | ©Esther Westerveld / Flickr / CC-BY

Bornes-fontaines et eau chaude

On trouve des bornes-fontaines à chaque étage, ainsi que des toilettes, summum du luxe.

S'il n'y a pas encore l'eau courante, c'est tout comme, avec de l'eau propre, non pas tirée de l'Oise voisine, mais d'un puits artésien creusé exprès dans le plateau.

L’eau des douches et de la piscine est à bonne température, car elle arrive directement de l’usine voisine : elle a servi à refroidir le métal en fusion, destiné à la fabrique des poêles !

Et ce système ingénieux de récupération des eaux chaudes, on la doit à Godin.

Familistère : un appartement

Familistère : un appartement | ©Chatsam / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Les plus vieux vide-ordures de France

L'hygiène tient une place très importante, au familistère de Guise.

Des vide-ordures (des « trappes à balayures », pour reprendre les propres mots de Godin) sont installés dans chaque logement : ce sont les plus anciens vide-ordures de l’habitation collective en France !

Ils permettent à chacun de jeter ses déchets dans des fosses cimentées, pour qu'ils soient récupérés quotidiennement, destinés à devenir du compost, pour les jardins des ouvriers.

Familistère : le lavoir

Familistère : lavoir | ©Archives départementales de l'Aisne / Public domain

Une école mixte et laïque, bien avant les lois de Jules Ferry

Si l'architecture et le confort permettant d'obtenir un niveau de vie agréable est important, Godin met aussi l'accent sur l'éducation intellectuelle. Seul moyen, selon lui, pour les classes les plus pauvres, de s'élever socialement.

Les enfants sont accueillis de la naissance jusqu'à leur 14 ans, dans l'école du Familistère qui est laïque, gratuite, mixte et obligatoire.

Incroyable, des années avant les lois de Jules Ferry ! En 1889, sur 1748 personnes, on compte 482 enfants scolarisés.

Godin crée lui-même les bureaux des élèves (table et banc d'un seul tenant), en prenant compte la taille de chaque enfant.

L'école est donc mixte : Godin pense, avec raison, que mélanger et favoriser l'amitié fille/garçon n’entraîne pas, comme on le croit alors, de futurs comportements répréhensibles, mais au contraire un éveil à l'entraide et au féminisme.

Familistère : école et théâtre

Familistère : école et théâtre | ©Patrick - Morio60 / Flickr / CC-BY-SA

Un service de crèche avant l'heure !

Partisan de l'égalité homme-femme, Godin met en place un service de garde des enfants. Un véritable luxe à l'époque, permettant aux femmes le désirant de travailler à l'usine voisine !

On distingue la nourricerie (jusqu'à 2 ans) et le pouponnat (de 2 à 4 ans), réunis en un seul bâtiment dédié. Les enfants sont accueillis de 6 heures à 19h30.

Tous les berceaux mis à disposition sortent de l'usine voisine. Les matelas ? C’est encore une fois Godin qui les conçoit !

Ceux-ci se composent de son, matière végétale s'agglomérant avec l'humidité dégagée par le corps du bébé ; en remplaçant régulièrement ces parties agglomérées, l'enfant reste au sec. Ce qui est bien plus hygiénique !

Une protection sociale pour tous

Au-delà des conditions de vie matérielle des ouvriers, Godin met en place une protection sociale, dès 1877 : une caisse de prévoyance mutuelle couvrant maladies et accidents de travail, assurant la retraite à 60 ans.

3 ans plus tard, Godin créé l’Association coopérative du Capital et du Travail : l'usine et le familistère deviennent propriétés collectives des ouvriers, devenus actionnaires grâce à une participation aux bénéfices.

Familistère : statue de Godin

Familistère : statue de Godin | ©Patrick - Morio60 / Flickr / CC-BY-SA

La fin d'une utopie

L’utopie sociale qu’a été le Familistère, l'une des rares à avoir vu le jour, s'est pourtant attirée les critiques des grands quotidiens français, des industriels de la région et de l’Église (ciel, une école mixte, et pas de catéchisme !)

En 1888, Jean-Baptiste Godin mourait au sein de son Familistère, où il repose toujours aujourd'hui.

La fin des haricots ?

En 1929, en tous cas, son Palais social connaît sa première grève, suivie d'autres mouvements sociaux, dans les années 1960.

Avant la fin de l'entreprise Godin, minée par la concurrence. L'aventure prend fin en 1968, avec le rachat de l'usine et le démantèlement progressif du Familistère, aujourd'hui visitable.

Sources

  • Josée Doyère. Le Familistère de Guise (Aisne). In Sites et monuments : bulletin de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique générale de la France, n°139. 1992.
  • Jessica Dos Santos. Le Familistère de Guise : habitat collectif et autonomie ouvrière. In Revue du Nord, n° 374. 2008.
  • Le Familistère de Guise (Aisne) : un Palais social. Publication collective du département de l’Aisne, supplément gratuit à Libération n° 9139 du jeudi 30 septembre 2010.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !