Le cimetière de Nolette, à la mémoire des forçats chinois de la Grande Guerre

De 1917 à 1919

Cimetière chinois de NoletteCimetière chinois de Nolette | ©Patrick - Morio60 / Flickr / CC-BY-SA

Un cimetière unique en France

Le cimetière de Nolette, à Noyelles-sur-Mer en Picardie, est unique en France. Unique, parce qu'il est le plus grand cimetière chinois de France et d'Europe ! La France, qui compte en tout 17 cimetières chinois.


Celui de Noyelles renferme les sépultures de travailleurs civils chinois, employés par le Chinese Labour Corps, entre 1917 et 1919 : un corps de travailleurs volontaires créé par l'armée britannique, pendant la Première Guerre Mondiale. On estime à 150 000 le nombre de travailleurs chinois ayant participé, indirectement, au conflit.


Au total, ce cimetière fondé par les Britanniques en 1921 compte 838 tombes. On doit sa conception à l'architecte anglais Edwin Lutyens (à qui l'on doit notamment la célèbre porte de l'Inde à New Delhi).


Mais que faisaient ces travailleurs déracinés à Noyelles ?

Cimetière chinois de NoletteCimetière chinois de Nolette | ©Wernervc / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Manque de main d'oeuvre, paysans pauvres déracinés

En 1916, en France, un problème de taille se pose : les hommes sont partis au front, les femmes et les prisonniers de guerre ne sont pas assez nombreux pour alimenter la machine de guerre.


La France signe donc un accord avec la Chine en mai 1916, la Grande-Bretagne fait de même quelques mois plus tard, afin de recruter des travailleurs chinois : majoritairement de jeunes hommes entre 20 et 35 ans, originaires de la province pauvre de Shandong, des paysans venus faire un peu d'argent avant de repartir chez eux.


On les a recrutés pour effectuer toutes les tâches pénibles et dangereuses, à l'arrière du front : ramassage des blessés entre deux attaques, déminage, creusement de tranchées, construction de voies ferrées, chargement de navires...


Ces forçats ne sont pas recrutés uniquement en Chine, mais aussi en Afrique du Nord (80 000 Algériens, 100 000 Égyptiens, 35 000 Marocains, 18 500 Tunisiens), en Asie (21 000 Indiens, 49 000 Indochinois) ou encore à Madagascar (5 500 Malgaches)...

Travailleurs chinois nettoyant un charTravailleurs chinois nettoyant un char | ©Chatham House / Flickr / CC-BY-SA

Des conditions de vie inhumaines

Après une traversée de plusieurs mois dans des conditions inhumaines, les jeunes Chinois débarquent en France début 1917, avant d'être dispatchés aux quatre coins du pays, dans une trentaine de camps. Rien que les Hauts-de-France en comptent 17 !


Noyelles, qui abrite alors une base arrière britannique, dispose du plus grand d'entre eux : c'est un camp de transit, surtout, où 90 000 Chinois vont passer.


Leur pauvre vie devient un enfer sur terre. Ils ont signé un contrat de 5 ans, avec travail 7 jours sur 7, 10 heures par jour, avec... un jour de repos, pour le nouvel An !


Parqués sous des tentes entre 24 et 120 individus, sans toilettes, ils ont interdiction d'aller et venir, de parler à qui que se soit d'extérieur au camp.

Un arrêté militaire de 1918 interdit d'ailleurs à la population tout lien avec les travailleurs. Ainsi, une jeune femme de Boulogne-sur-Mer, qui avait osé envoyer une carte à un travailleur chinois, est poursuivie devant le tribunal, avant d'être acquittée !


Se posera bien sûr la question du choc des cultures. Les travailleurs, véritables esclaves enfermés en prison, épuisés et malades, souffrent du déracinement et se heurtent à une population rurale française peu habituée à « côtoyer » des « étrangers », qui se plaignent vite d'être terrorisé.

Travailleurs chinois en France, 1918Travailleurs chinois en France, 1918 | ©Library of Congress / Public domain

La première vague d'immigration chinoise en France

Décimés par la tuberculose puis la terrible grippe espagnole, abîmés par les conditions de vie et les accidents, les survivants sont renvoyés en Chine dès 1919. 20 000 sont morts en France, et beaucoup n'ont jamais eu de tombes.

120 000 rentrent chez eux.


Entre 3000 et 6000 Chinois choisissent de rester, se marient avec des Françaises et fondent une famille. Le dernier d'entre eux, Jean Tchou, est mort en 2002 à La Rochelle, à l'âge de 105 ans.

Il s'agit là de la première grande immigration chinoise en France...

Sources

Yassine ChaïbLe cimetière chinois de Nolette en PicardieHommes & Migrations (2008, n°1276)

Marius MoutetLes travailleurs chinois du Pas-de-CalaisArchives du Pas-de-Calais, archivespasdecalais.fr