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L'incroyable destin de Claude-Alexandre de Bonneval, le pacha ottoman à trois queues

Quand : 14 juillet 1675 - 23 mars 1747

Le pacha Bonneval | ©Rijksmuseum / CC0
Château Château de Bonneval

Les Bonneval et leur château

Aussi loin que l'on remonte dans le temps, les Bonneval ont toujours été maîtres du château éponyme.

La première mention de ces puissants seigneurs, très vieille famille limousine, remonte au milieu du 11e siècle, un siècle après la construction du donjon.

Le château, lui, sera agrandi dès le 12e siècle par Jean de Bonneval, puis entièrement reconstruit au cours du 15e siècle, époque où il reçoit son aspect actuel : un quadrilatère avec des tours rondes aux angles, le tout flanqué du gros donjon médiéval.

Le plus célèbre des Bonneval ? Claude-Alexandre, notre pacha ! Allez, c'est parti pour l'aventure...

Bonneval

Bonneval | ©Emmenngee / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Un marin fort en gueule !

Claude-Alexandre de Bonneval naît au château le 14 juillet 1675.

À 13 ans, un piston familial lui permet de s'engager dans la marine, comme garde-marine.

C’est un gamin casse-cou, courageux, mais une forte tête !

Ce qui lui vaut une convocation chez le ministre Seignelay, le fils du grand Colbert. Il le menace de le renvoyer !

« On ne casse pas un homme de mon nom ! » gronde l’ado.

Seignelay apprécie la répartie, sourit, puis répond : « Le roi casse le garde-marine, mais le fait enseigne de vaisseau ! »

Jolie promotion !

Mais le naturel revenant au galop, Bonneval se prend le bec avec un capitaine de vaisseau.

Le rustre l’avait insulté, en le traitant d’enfant, non mais ! Bonneval le défie en duel et le blesse de 3 coups d’épées.

Résultat des courses : il est obligé de quitter la marine !

Le pacha Bonneval

Le pacha Bonneval | ©Skara kommun / Flickr / CC-BY

Nouvelle prise de bec, passage en Autriche

Bonneval a quitté la mer. Et ronge son frein ! Ce qu’il fait, en 1698 ? Il achète un emploi dans les gardes françaises, pendant la guerre de Succession d’Espagne : il y reste jusqu’en 1701.

Il sert en Italie, où il se distingue par son courage. Mais aussi pour dépenser allégrement l’argent du roi ! Aïe.

Le voilà convoqué chez le ministre de la Guerre, Chamillart. Qui lui annonce que si c’est comme ça, on ne le paiera plus !

On devait « retenir tout ce qu’il pourra toucher en attendant qu’on pût lui faire payer le reste. » Le coup est rude ! C’est la misère assurée, pour Bonneval.

Un échange de lettres acides suit. Chamillart lui dit entre autres que Bonneval n’est « pas assez grand seigneur pour faire des présents au roi »… ça picote, ça asticote, vous voyez ?

Bonneval lance un ultimatum :

« Si, dans le terme de 3 mois, je ne reçois pas une satisfaction raisonnable sur l’affront que vous me faites, j’irai au service de l’empereur où tous les ministres sont gens de qualité et savent comment il faut traiter leurs semblables. »

Chamillart ne bronche pas… alors, en mars 1706, Bonneval passe à l’Autriche, chez l’ennemi !

Bonneval

Bonneval ©Emmenngee / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Bonneval perd ses boyaux en Serbie

À la cour de l’empereur Joseph Ier, Bonneval se fait accueillir à bras ouverts.

Le prince Eugène lui donne le grade de général : Bonneval fait des ravages sur les champs de batailles en Italie, Hongrie, Flandre.

En Serbie, à Petrovaradin, il reçoit un terrible coup de lance, en plein ventre !

Il combat « plus d’un quart d’heure en tenant ses boyaux de la main gauche, après avoir tué de la droite celui qui l’avait blessé. Il a fallu que les grenadiers de son régiment l’enlevassent par force du champ de bataille », rapporte un certain J.-B. Rousseau.

Coriace, notre Bonneval : il ne meurt pas… mais devra porter toute sa vie une plaque d’argent sur le ventre, pour maintenir ses entrailles en place !

Fort de Petrovaradin

Fort de Petrovaradin | ©Dennis Jarvis / Flickr / CC-BY

Le déserteur revient en France ! Mariage en vue ?

Pendant que Bonneval brille en Autriche, en France… hé bien, on le considère comme déserteur !

Ça vous étonne ? Il a même été condamné à mort par contumace, exécuté en effigie sur la place de Grève.

Bonneval songe pourtant à rentrer au pays… il demande son congé à l’empereur et revient à Versailles.

On fait un accueil triomphal au héros : on a oublié le côté traître et déserteur du personnage…

Bonneval rangé des voitures ? Pas si sûr !

En tous cas, sa mère profite de son passage au château de Bonneval pour le marier. Elle s’appelle Judith de Biron, elle est jeune, aimante, riche. Lui a 42 ans. Il accepte à contrecœur...

Judith se voit déjà couler de beaux jours aux côtés de son beau général, en Limousin… 10 jours après la noce à Bonneval, le marié prend son paquetage et file retrouver l’Autriche et sa vie de patachon !

Il ne la reverra jamais… Judith passera le reste de sa vie à attendre des nouvelles et à s’inquiéter d’un fantôme.

Son abondante correspondance est pleine de tendresse, de résignation, d’amertume, aussi.

Voyez un peu cet extrait :

« Mon inquiétude augmente chaque jour en même temps que votre inexactitude, et je suis aussi constante à me tourmenter que vous l’êtes à me négliger. »

« Putains et carognes » : le mot de trop !

Retour en Autriche, donc, pour le jeune Limousin. Un ciel sans nuage, jusqu’à ce que Bonneval refasse parler de lui. Mais, c’est une manie !

Le rustre se moque du prince Eugène. Il révèle à tous que par le passé, les mœurs de monsieur étaient très libre : il se faisait appeler… Madame ! Scan-dale.

Bonneval s’enfuit, direction Bruxelles. Là-bas, son sang se met à nouveau à bouillir.

Pourquoi ? Figurez-vous qu’une dame, l'épouse d’un ami du prince Eugène, a osé insulter la reine d’Espagne Élisabeth d’Orléans (la fille du régent).

Bonneval prend sa plus belle plume pour écrire que

« les hommes et les femmes qui faisaient de pareils discours étaient des coquins et des malheureux, et les femmes des putains et des carognes, qui méritaient qu'on leur coupa la robe au cul. »

L’empereur n’apprécie pas du tout ! Il fait arrêter Bonneval et le flanque en prison à Anvers.

Bonneval (vous commencez à le connaître) continue : il ose écrire à l’empereur qu’il règne benoîtement sur un empire rempli d’imbéciles !

Là, bim : il écope d’un an de prison, au fort tchèque du Spielberg.

Le prince Eugène

Le prince Eugène | ©Rijksmuseum / CC0

Pacha à trois queues, chef des bombardiers

Sorti de sa prison autrichienne, Bonneval met le cap sur Venise, puis Constantinople, offrir ses services au sultan Mahmoud, en 1730.

Pour se venger de l’empereur ? Le combattre à la tête des armées ottomanes ?

Le sultan lui confie le soin d’organiser et de commander l’artillerie, avec le titre de topigibachi, « chef des bombardiers ».

Bonneval remplit remarquablement bien sa mission : le sultan lui donne le titre de pacha à trois queues, rang le plus élevé de la hiérarchie militaire ottomane !

Il se convertit, prend le nom d’Ahmed Pacha,

« dépouillant le costume de gentilhomme, revêtit l’habillement d’un Turc de condition, la robe flottante brodée de fleurs, l’ample pelisse bordée de fourrure, le turban pesant quatre livres. »

Il écrit :

« Ce fut alors que je quittai le chapeau pour le turban, qui seul pouvait me sauver. Vous jugerez bien qu’un homme aussi déterminé que moi n’aurait pas attendu, pour se faire turc, le moment où on allait le livrer aux Autrichiens, si tel avait été mon dessein en passant dans les états du sultan ; mais je me serais fait diable, plutôt que de me voir à la merci de l’empereur. Sachez que j’aime mieux, en dépit de l’opinion de certains, être où je suis, et comme je suis, que d’être mort écorché vif et en bon chrétien à Vienne. »
Constantinople (anonyme, 1693-1717)

Constantinople (anonyme, 1693-1717) | ©Rijksmuseum / CC0

La bibliothèque de vins du pacha

Honoré Bonhomme rapporte sur la nouvelle vie du seigneur limousin devenu pacha, à Constantinople :

« Constamment occupé de politique, de négociations ou de guerre, il rêvait la nuit de ce qu’il pouvait faire le jour suivant. Il avait toujours de nouveaux projets en tête et ne goûta de repos à aucun moment de sa vie. »

Oh, allez, relativisons toute de même…

Un jour, Bonneval reçoit le jeune Casanova. Il lui montre ce qui ressemble à s’y méprendre à une bibliothèque... mais qui contient en fait « deux rangées de bouteilles des meilleurs vins » !

Bonneval lui confie :

« C’est là ma bibliothèque et mon harem : car, étant vieux, les femmes abrègeraient ma vie, tandis que le bon vin ne peut que me le conserver, ou du moins me le rendre plus agréable », pouffe-t-il !

La fin du pacha à Constantinople

L’amour excessif du vin rattrape bientôt Claude-Alexandre de Bonneval, l'alcool finissant par lui déclencher des crises de goutte.

Il meurt à Constantinople à l’âge de 72 ans, au terme d’une vie riche, très riche en aventures. On est le 23 mars 1747.

Il n’aura jamais revu ni son Limousin natal, ni son épouse, Judith de Biron, restée à l'attendre dans l’ombre, des années, au château de Bonneval… Elle avait finalement cessé de lui écrire, résignée, pour mourir l'hiver 1741.

Le pacha repose dans le cimetière d’Istanbul de Péra, où se tombe existe encore.

Son épitaphe turque dit :

« Dieu est permanent ; que Dieu, glorieux et grand auprès des vrais croyants, donne paix au défunt Achemt-Pacha, chef des bombardiers, l’an de l’hégire 1160 (1747). »

Sources

  • Juliette Benzoni. Le roman des châteaux de France. Perrin, 2012.
  • Honoré Bonhomme. Le comte-pacha de Bonneval. Revue britannique (tome 1, 61e année, 1885).
  • Le comte-pacha de Bonneval. Causeries du Lundi (tome 5, 1853).
  • Albert Vandal. Le pacha Bonneval. 1885.
  • Biographie universelle, ancienne et moderne (tome 5). 1812.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !