Le beffroi de Sancerre et la monstrueuse famine de 1573
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Quand : 3 janvier 1572 - août 1572
La vigie de la ville
Accolé à l'église, voilà le beffroi ! Symbole de toute puissance des échevins de la ville...
On suppose qu'on a fait appel pour sa construction à Guillaume Pellevoysin, architecte de Bourges.
On l’appelle aussi tour Saint-Jean, car elle servait alors de clocher à l'église Saint-Jean !
L'église Saint-Jean ?
Elle n'existe plus, la flèche en pierre de la tour s'écrasant en 1725 sur elle, lors d'une grosse tempête...
Malheureusement pour nous, on ne visite pas l'intérieur !
Sachez seulement qu'au rez-de-chaussée se trouve une chapelle voûtée.
A l'étage, la salle de réunion des échevins avec voûte et cheminée.
La tour et ses échevins rappellent le terrible siège de Sancerre...
Est-ce là qu'ils se concertèrent pour décider du sort de la ville, en cette terrible année de 1573 ?
Qu'ils encouragèrent les habitants à se battre, malgré la supériorité des attaquants ?
C'est là en tous cas que furent sonnés l'alerte et le début du siège... Allez, remontons le temps !
Sancerre entre catholiques et huguenots
Le refuge des persécutés
A l'époque des guerres de Religion, les Protestants cherchent des villes sûres où on peut les accueillir. Sancerre est l'une d'elle.
Avec son imposant château réputé imprenable, elle ne semble craindre personne !
En 1561, on compte à Sancerre nombre de protestants persécutés venant de toute la région, après la conjuration d'Amboise.
Quelques uns d'entre eux chassent tous les religieux, abolissent le culte catholique dans la ville et détruisent les églises... aidés par les Sancerrois eux-mêmes qu'ils avaient réussi à galvaniser !
Déconfiture !
Le roi Charles IX envoie une armée en 1568 pour calmer la ville : déconfiture totale !
Les troupes royales se font battre à Chavignol.
Début de l'année 1569, une nouvelle armée commandée par l'italien Sciarra Martinengo, l'Orléanais François Balzac d'Entragues et le berrichon Claude de La Châtre fonce sur Sancerre.
Mais malgré deux brèches ouvertes, les Sancerrois résistent et font reculer les troupes, qui se rendent au bout de 5 semaines de siège.
Traqués...
Après le massacre de la Saint-Barthélémy en 1572, les Protestants sont toujours aussi nombreux à Sancerre.
Ils y pratiquent leur religion et ont même pris les commandes du château !
Ils désignent comme gouverneur l'échevin André Johanneau. Mais dehors, rien ne va plus...
Après le massacre de Paris, la terreur est à son comble un peu partout à Gien, Orléans, Bourges ou Nevers...
On traque les Huguenots où qu'ils se trouvent : la ville de Sancerre et ses protestants commencent d'ailleurs à échauffer les oreilles du roi... qui envoie les troupes de Claude de La Châtre pour un ultime siège qui débute le 3 janvier 1573.
On ne rigole plus cette fois ! Les boulets de canons fusent de toute part.
Les assauts redoublent de tous les côtés.
Les Sancerrois qui avaient si bien repoussé toutes les attaques précédentes se sentaient sûrement invincibles.
Oui, les murs résistent. Sauf que là, c'est la famine qui va les décimer...
Un siège apocalyptique
Cuir rôti et fientes de cheval
Des scènes apocalyptiques se déroulent.
Elles nous sont retranscrites au détail près par un certain Jean de Léry, ministre huguenot et grand voyageur dans son Histoire mémorable du siège de Sancerre, parue en 1574.
Lorsque les Sancerrois eurent tout mangé, jusqu'à la moindre petite touffe d'herbe en passant par chats, taupes, rats, il fallut trouver autre chose : les peaux de bœuf, de chèvre, d'âne, de cheval sont « pelées, raclées, lavées, échaudées et cuites ».
On les fait « rôtir sur le gril comme tripes ; que si quelqu'un avait de la graisse, il en faisait de la fricassée et du pâté en pot. »
Ensuite, plus de bêtes.
Vient le tour des parchemins qu'on met à tremper deux jours dans de l'eau et qu'on mange par morceaux gluants, puis du suif de chandelle, des coquilles de noix pilées ou des ardoises moulues pour faire du pain, des « fientes de cheval » cuites dans du suif et mélangées à des herbes...
Mangeurs de chair humaine
Quand il n'y eut plus rien de rien, on assiste à l’extrême : des scènes d'anthropophagie.
Léry en est témoin et se souvient avoir vu des scènes semblables au Brésil, chez ceux qu'on nomme alors « sauvages »...
Comble de l’horreur : vers le 20 juillet, le bruit court que le vigneron Simon Potard et sa femme ont tué leur fille de 3 ans pour la manger.
L'homme est brûlé vif et sa femme étranglée... La mauvaise nourriture engendre des maladies.
On ne voit que des mourants dans les rues d’ordinaire si tranquilles !
Brisés, à bout de force, les Sancerrois capitulent le 19 août 1572...
On enlève la cloche du beffroi au terme du siège pour punir la ville de sa résistance.
On l'emmène à Bourges, où elle restera pendant plus de 4 siècles...
La ville la récupérera à la toute fin du XXe s.
Sources
- Jean de Léry. Histoire mémorable du siège de Sancerre. 1574.
- Gustave Bourra. Histoire de Sancerre depuis son origine jusqu’à nos jours. 1877.