Intellectuel socialiste et militant de la cause du peuple, Paul Lafargue, créateur du MOF (Mouvement Ouvrier Français) et auteur du Droit à la Paresse, se suicide à son domicile de Draveil (91).
Emportant avec lui son âme sœur, Laura Marx, la fille du célèbre Karl...
Une terrible lettre
26 novembre 1911. Nous voilà au domicile de Paul Lafargue, à Draveil, dans cette jolie petite propriété du 108 boulevard Henri-Barbusse.
C'est un double suicide, donc, que le jardinier de la maison, M. Doucet, s'apprête a découvrir au matin de ce petit jour gris de novembre.
Surpris de ne pas voir le couple, il frappe à la porte. Pas de réponse.
Il monte les escaliers quatre à quatre, dans un silence de mort. De mort, vraiment, croyez-moi !
Car quand Doucet entrouvre la porte de la chambre, il aperçoit Lafargue étendu sur son lit, tout habillé. Mort.
Dans la chambre voisine, Laura, assise dans un fauteuil, ne respire plus. Ils sont comme endormis.
Sur une table, la courte lettre ci-dessous, écrite par Paul Lafargue et expliquant son geste :
« Sain de corps et d'esprit, je me tue, avant que l'impitoyable vieillesse, qui m'enlève un à un les plaisirs et les joies de l'existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles, ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres. Depuis des années, je me suis promis de ne pas dépasser les 70 ans. J'ai fixé l'époque de l'année pour mon départ de la vie, et j'ai préparé le mode d'exécution de ma résolution une injection hypodermique d'acide cyanhydrique. Je meurs avec la joie suprême d'avoir la certitude que dans un avenir prochain, la cause à laquelle je me suis dévoué depuis 45 ans triomphera. Vive le Communisme. Vive le Socialisme international. »
L'annonce de leur mort
La mort du célèbre Lafargue fait l'effet d'une bombe !
Le Temps du 28 novembre 1911 fait savoir :
« Le parti socialiste vient de perdre une de ses figures les plus représentatives. Avec M. Paul Lafargue disparaît l'un des derniers survivants en France de l'orthodoxie marxiste. Sa mort volontaire ajoute une conclusion farouchement logique à la vie militante de ce théoricien forcené. Leur idéal tenait tout entier dans l'avènement d'une société parfaite, dont leur cerveau avait arbitrairement arrêté le plan. Impuissants désormais à servir leurs desseins, ils se retirent, et leur testament est un acte d'espérance, non pas de désillusion. »
De grandes funérailles
Le journal Gil Blas du 4 décembre 1911 raconte :
« Ce furent d'impressionnantes funérailles que celles de Paul Lafargue et de sa fidèle compagne, Laura, qui ont quitté la vie dans les douloureuses et tragiques circonstances que l’on sait. Toutes les fédérations et sections ouvrières, tous les socialistes et syndicalistes leur devaient donc de solennelles obsèques. La province et l'étrangler se sont joints à Paris. Les deux corbillards s'avançaient côte à côte. Et c'est aux sons de la Marche funèbre de Chopin que, lentement, le cortège quitta la rue de la Corderie pour se rendre au Père-Lachaise. Huit à dix mille personnes suivaient les deux corbillards. Drapeaux et bannières rouges, couronnes d’immortelles sanglantes, emblèmes écarlates accompagnaient les dépouilles. […] M. Jaurès prend la parole : « M. Paul Lafargue, dit-il, avait une grande vision communiste de l'avenir humain, il était à l'antipode du nationalisme économique. Il avait hérité de la pensée des philosophes du 18e siècle. » Le discours de M. Jaurès se termina sous la pluie et aux sons de quelques couplets de l’Internationale, drapeaux et bannières, rentrés au fourreau, l'immense cortège se disloqua. »
Une tombe à plusieurs
Paul et Laura ne reposent pas seuls au Père-Lachaise !
Sont inhumés à leurs côtés :
- Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx, par sa fille Jenny Marx ;
- Les deux fils de Jean Longuet, Karl-Jean Longuet et Robert-Jean Longuet, respectivement sculpteur et journaliste socialiste.
Source
- Collectif. La dernière lettre : anthologie des derniers mots des grands hommes. Éditions du Seuil, 2017.