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La toile de Jouy et la belle success-story de Christophe Oberkampf

Quand : 1760 - 1843

Motif Plaisirs de la Campagne (1802) | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA
Musée Inventeur et créateur Musée de la toile de Jouy

En deux mots !

Les toiles de Jouy ? Des cotonnades imprimées par la manufacture Oberkampf, à Jouy-en-Josas, entre 1760 et 1843.

Une formidable success-story, celle d'un Allemand, ouvrier immigré protestant parlant à peine le français, parvenu à force de travail et d'imagination à la tête de la 3e entreprise de France, en 1803, après la miroiterie de Saint-Gobain et les mines de charbon d'Anzin !

N.B. : les toiles illustrant l'article sont toutes issues des collections du musée de la toile de Jouy, à Jouy-en-Josas.

Motif Offrande à l'amour (1799)

Motif Offrande à l'amour (Oberkampf, 1799) | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Les indiennes

Tout commence avec celles que l’on appelle... indiennes !

L’Europe du milieu du 17e siècle tombe follement amoureuse de ces textiles indiens, rapportés par le biais des compagnies des Indes Orientales, fondées en 1664 par Colbert.

Dans l'habillement, comme dans l'ameublement, les Européens sont conquis !

Ces tissus sont en coton, une matière jusque-là inconnue en Europe, où l’on est habitué au lin, à la soie ou à la laine.

Léger, facile à entretenir, le coton offre, en plus, une palette de décors inédits, floraux, exotiques, en rouge (racine de garance) et en bleu (indigo).

Les Indiens fabriquent ces toiles depuis l'Antiquité avec la plante du coton, avec un secret : le principe du mordant, un sel métallique permettant de fixer la couleur sur la fibre.

Ces toiles de coton faisant fureur s’appellent :

  • kalambar, un mot d'origine perse, désignant une étoffe peinte à la main avec un calame ;
  • palampore, grand tissu réalisé par les artisans indiens pour le marché occidental, à la demande des directeurs des compagnies des Indes.
Kalambar (Inde, 18e s)

Kalambar (Inde, 18e s) | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Des indiennes françaises

En France, la fabrication des indiennes qui font un malheur en Europe commence à Marseille, vers 1648. Ballots de coton et indiennes d’origine y transitent.

Mais la qualité des toiles fabriquées dans la cité phocéenne est loin d’égaler celle des indiennes ! Les teintes, fades, ne tiennent pas.

Le savoir-faire de marchands arméniens venus s’installer à Marseille changent la donne.

Car si la manufacture de Jouy deviendra synonyme de haute qualité et de diversité des motifs, elle n'est pas la première : Jean Wetter installe sa manufacture à Marseille en 1744, puis déménage à Orange.

Les toiles d'Orange sont si renommées, qu'au début les premières toiles fabriquées par Oberkampf s’appellent... « toiles d'Orange de Jouy » !

Après Marseille ou Orange, en Provence, les fabriques de cotonnades se répandent en Suisse ou en Angleterre.

Palampore (Inde, 18e s)

Palampore (Inde, 18e s) | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Les indiennes interdites en France !

Le succès de ces indiennes est incroyable.

Les fabricants de soie lyonnais dénoncent bientôt la concurrence de ce commerce florissant !

« Un petit nombre de marchands, distributeurs des étoffes des Indes, sont eux seuls l’unique cause du goût dépravé que les femmes de la cour et de la ville ont pour ces sortes d’étoffes inférieures à celles qu’on fabrique dans le royaume et par là ils favorisent le grand commerce que les Anglais et les Hollandais font de ces sortes d’étoffes. »

Alors, entre 1686 et 1789, la vente et la fabrication des « toiles de coton peintes aux Indes » sont interdites, tant celles fabriquées en Inde que celles imprimées en France !

Celles qui seront trouvées seront brûlées ; le détenteur écopera d’une amende de 3000 livres. Des mesures plus sévères, comme les galères et même la peine de mort, viendront s’ajouter en 1720.

Il faut attendre 1759 pour que les indiennes soient autorisées.

On voit des centres de production légales fleurir partout en France. La plus importante ? Elle se trouve à Jouy-en-Josas !

Un certain Oberkampf est à sa tête...

Indienne (Oberkampf, 1783)

Indienne (Oberkampf, 1783) | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Oberkampf entre en scène

Christoph Philipp Oberkampf naît à Wiesenbach, près de Stuttgart, en 1738. Il descend d'une dynastie de teinturiers protestants.

Il apprend le métier auprès de son père, fabriquant d’indiennes en Suisse.

À 18 ans, il entre comme graveur à la manufacture de textiles Koechlin, à Mulhouse.

Deux ans plus tard, en 1758, l’envol, enfin ! Il se retrouve à Paris, comme coloriste chez les fabriques d'indiennes Cottin.

Un an plus tard, les indiennes devenues légales, Oberkampf fonde sa propre manufacture à Jouy-en-Josas.

Pourquoi Jouy ?

  • Pour la pureté des eaux de la Bièvre voisine, indispensable pour laver les fibres textiles ;
  • la présence de grandes prairies, pour étendre les toiles et les blanchir au soleil ;
  • les nombreuses vaches, dont les bouses entrent dans le processus de fabrication des toiles.
Christophe Oberkampf (J.-M. Fontaine, 1830)

Christophe Oberkampf (J.-M. Fontaine, 1830) | ©Rijksmuseum / CC0

Naissance de la première toile de Jouy

Les premières toiles voient le jour dans la maison dite du pont-de-pierre, à Jouy-en-Josas, le 1er mai 1760. Oberkampf y vit pendant un an.

La toute première pièce imprimée dans cette maison s’appelle Le Chinois à la brouette.

Dessiné par Oberkampf lui-même, le motif est influencé par la mode des chinoiseries, inspiré par les dessins de Jean-Antoine Fraisse, « peintre sur toiles » au service du prince de Condé.

Oberkampf a 22 ans, la maison devient son premier atelier d'impression. Il y fabrique, avec peu de moyens, 3600 pièces, soit 86 000 mètres de tissus.

Le début d'une irrésistible success-story !

Chinois à la brouette

Motif Chinois à la brouette | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Une formidable entreprise

L’année suivante, Oberkampf commence à acheter de nouveaux bâtiments, accroissement d’activité oblige !

La manufacture, aujourd’hui disparue (car démolie au cours du 19e siècle), devient la plus grande d'Europe.

Elle occupe près de 15 hectares, comprend 36 bâtiments, emploie jusqu'à 1327 personnes !

Plus de 30 000 motifs sont créés, durant ses 83 ans d'existence.

À la toute fin du 18e siècle, la manufacture d'Oberkampf devient la 2e plus importante de France, derrière celle de Saint-Gobain !

Maison du pont de Pierre, Jouy

Maison du pont de Pierre, Jouy | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Son propre style !

Si au début, la manufacture de Jouy copie les cotonnades indiennes et les autres productions européennes, Oberkampf créé ensuite son propre style. Il s'adapte sans cesse, en fonction des modes.

Les motifs sont variés : fleurs, oiseaux, scènes champêtres, fables, scènes exotiques...

De grands artistes travaillent pour Oberkampf, notamment le peintre Jean-Baptiste Huet.

Oberkampf s'inspire aussi de motifs typiquement indien ou mongol.

Motif Meunier et âne (Oberkampf, dessin de Huet, 1797)

Motif Meunier et âne (Oberkampf, dessin de Huet, 1797) | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Une évolution technique permanente

Oberkampf fera sans cesse évoluer les méthodes d'impression de ses toiles : d'abord sur planches de bois, puis planches de cuivre et rouleaux de cuivre gravés en creux.

Des rouleaux qu’il fait importer d’Angleterre, car c’est à la base une invention de l’Écossais Bell, en 1785 !

Cette évolution va permettre d'augmenter la production de manière exponentielle : en 1805, on imprime 5 000 m de tissu par jour !

Motif floral (Oberkampf, 1791)

Motif floral (Oberkampf, 1791) | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Une pluie d'honneurs !

En août 1770, cela fait 10 ans, qu'Oberkampf est arrivé en France. Beaucoup d’honneurs l’attendent !

D’abord, il se fait naturaliser. Ensuite, sa fabrique reçoit le titre de manufacture royale, en 1783.

Quatre ans plus tard, Oberkampf est anobli. Il a ainsi le droit de se choisir armoirie et devise.

Son choix ? Recte et vigilanter, « droiture et vigilance » !

Ultime cerise sur le gâteau, Napoléon lui remet la légion d'honneur, en 1806.

Motif fleurs stylisées (Oberkampf, 1798)

Motif fleurs stylisées (Oberkampf, 1798) | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Le lieu du repos éternel d'Oberkampf

Dès 1806, le blocus continental décidé par Napoléon, pour ruiner l’Angleterre, entraîne des difficultés d’approvisionnement des matières premières.

Ajoutez à cela la concurrence qui fait rage, avec des imprimés de moindre qualité et moins cher…

Lors de l’invasion prussienne de 1814 et l’occupation de Jouy, il faut même fermer la manufacture, renvoyer les ouvriers.

Christophe Oberkampf meurt le 4 octobre 1815, à 77 ans, dans sa maison de Jouy (actuelle mairie), profondément marqué par l’invasion ennemie.

Étant protestant, il n'a pas le droit au cimetière municipal. Il est d'abord inhumé dans le parc de son château du Montcel, à Jouy, avec sa famille.

Quand ce château est vendu en 1980, les pierres tombales sont déplacées dans le jardin de sa première maison dit du pont-de-pierre, à Jouy-en-Josas.

Pierre tombale d'Oberkampf à Jouy

Pierre tombale d'Oberkampf à Jouy | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

La fin d'une époque

La manufacture de Jouy ferme ses portes en 1843.

Le fils de Christophe, Émile, avait pourtant repris sa direction, suivi de l'indienneur de Rouen Jules Barbet.

La mode n'étant définitivement plus aux indiennes, la prestigieuse manufacture fait faillite.

Mais encore aujourd'hui, les toiles de Jouy sont renommées dans le monde entier !

Motif Monuments d'Egypte (Oberkampf, 1808)

Motif Monuments d'Égypte (Oberkampf, 1808) | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Le musée actuel

Le musée de la toile de Jouy occupe le château de l’Églantine, construit en 1891 à l'emplacement de celui du maréchal d'Empire Canrobert.

Le musée, fondé en 1977, s'y installe en 1991.

Les beaux espaces muséographiques permettent de retrouver des intérieurs meublés (une chambre, un bureau et un salon de musique), évoquant les appartements privés de la famille Oberkampf.

Le musée

Le musée | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Le musée

Le musée | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Sources

  • Panneaux touristiques dans la ville de Jouy-en-Josas.
  • Cartels dans le musée de la toile de Jouy.
  • PDF en ligne de l'exposition Les toiles de Jouy, une aventure humaine, industrielle et artistique. 2015.
  • Philippe Haudrère. Les Français dans l’océan Indien, 17e-19e siècle. Presses Universitaires de Rennes, 2019.
  • Paul Delsalle. La France industrielle aux 16e, 17e, 18e siècles. Ophrys, 1993.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !