Nancy, frappée par l’épidémie de sorcellerie qui touche l’Europe, à la fin du 16e siècle !
Ici, c’est dans les tours de la porte de la Craffe, qu'on les enferme, après leur procès et avant leur exécution.
Et découvrir ces histoires, c’est faire connaissance avec Nicolas Rémy, le chasseur de sorcières nancéien !
Pourquoi s’est-on mis à chasser les sorcières ?
Michelet écrit très justement : « D’où vient la sorcière ? Des temps du désespoir. »
Or, quand la chasse aux sorcières s’ouvre au 14e siècle, c’est dans un monde englué par la peste noire qui décime des millions d’Européens, les guerres sanglantes...
Les gens sont perdus, ils ne reconnaissent plus rien de leur monde.
Alors, il faut trouver une explication à ces malheurs. Il faut un responsable : ce sera la sorcière.
80 % des procès en sorcellerie touchent des femmes, veuves ou célibataires, le plus souvent.
Des femmes indépendantes, fortes, gagnant honnêtement leur vie avec leur travail : forcément, ça dérange...
Nicolas Rémy, chasseur de sorcières
La Démonolâtrie
Un drôle de livre sort en 1595. Son titre ? La Démonolâtrie.
Son auteur ? Nicolas Rémy, procureur général de Lorraine. Chasseur de sorcières !
Un livre dans lequel il décrit soigneusement l’expérience acquise, en instruisant des procès en sorcellerie : plus de 900 procès sur 15 ans (avec une proportion de sorcières, par rapport aux sorciers, de 9 sur 10) et 60 condamnations capitales par an.
C'est énorme, vu la petitesse de la taille du duché de Lorraine !
Ce à quoi Christian Pfister, dans son Histoire de Nancy, dit :
« Son livre eut pour effet de rendre ces procès encore plus nombreux ; dans nul autre pays la sorcellerie n’a sévi davantage qu’en Lorraine. »
Des innocents au bûcher
Né en 1530 dans les Vosges, d’origine humble, Rémy fait ses études de droit à Orléans, puis revient au pays.
Lieutenant général des Vosges, il devient conseiller privé de Charles III de Lorraine en 1575, qui le nomme avocat général en 1591.
Entre 1576 et 1591, Rémy condamne les personnes au bûcher pour satanisme, ici à Nancy.
La conclusion de cette vie de traque et de procès ?
« C’était un fort honnête homme que ce Nicolas Rémy, qui avait envoyé au bûcher 2000 à 3000 sorciers, dont les neuf dixièmes étaient sans nul doute des innocents. »
Diable et sorcières en Lorraine
Le Diable s'habille en vert
La Démonolâtrie nous apprend que le Diable en Lorraine répond aux noms de maître Persin (car son vêtement est vert foncé), Napnel, Jolibois, Sautebuisson.
Les sorcières se rendent donc au sabbat, sur ordre de ce diable.
Mais quand elles ne font pas la nouba, elles nuisent : untel dépérit à vue d’œil, un autre tombe et se casse la patte, l’autre devient soudainement aveugle, les maris deviennent impuissants, le bétail tombe malade, le lait tarit…
Parfois, on fait le lien entre la rencontre avec un sorcier, et la mort d’un homme survenue un an après !
Dénonciation !
Pour condamner une sorcière, il faut un « dénonciateur » : une information est alors ouverte.
Tous les moyens sont bons pour envoyer les gens à la mort, Rémy a réponse à tout, même quand il n’y a pas de preuves : une fois, on traite une femme de « sorcière » lors d'une querelle, elle ne moufte pas, c’est un indice sûr !
Un seul témoignage suffit à envoyer quelqu’un au tribunal.
Un signe sur le corps
Après examens des faits, la femme est soumise à « l’audition de bouche. »
Certaines avouent dès le début, persuadées d’avoir pactisé avec le Diable : jugées hystériques, il faut les brûler avec leurs filles et inversement... car c’est un mal héréditaire !
Mais dans la majorité des cas, l’accusée nie.
Il y a alors confrontation et si besoin, un médecin procède à l’examen du corps, pour trouver une marque du Diable.
Kesaco ? Un endroit insensible, si l'on y plante une épingle : souvent, c’est une tache de vin, une verrue, un bouton...
Un signe ! Qui rime avec condamnation à mort.
Quatre tortures
En Lorraine, la torture prenait 4 formes :
- les grésillons, pour écraser les doigts ;
- l’échelle (étendu sur une échelle ordinaire, le supplicié se fait étirer les membres avec des cordes) ;
- les tortillons (petits bâtons qui servent à serrer des cordes nouées sur les membres du condamné en les tournant) ;
- l’estrapade (la victime est soulevée avec une corde qui lui lie les bras dans le dos, puis relâchée violemment, sans toucher terre, ce qui provoque une dislocation des épaules).
À un tel régime, la prétendue sorcière finissait par avouer tout ce que ses juges voulaient entendre, vous pensez... des noms, toujours plus de noms, ce qui entraînait toujours plus de nouvelles victimes, de nouveaux procès, bref... un cercle sans fin !
Aveux et bûcher
Si l'accusée passait aux aveux, c'est la condamnation à mort.
Avant le supplice, la condamnée était mise au pilori sur la place Saint-Epvre de Nancy, avec l’écriteau « guenoche et sorcière. »
Quelques minutes interminables, à subir la risée du peuple, puis le cortège sortait de la porte de la Craffe pour rejoindre les bords de la Meurthe, où se trouvait le bûcher : la sorcière y mourait non pas brûlée, mais pendue.
Conclusion
Les procès pour sorcellerie prennent fin en France en 1682, après l’affaire des Poisons.
Mais il faut attendre, tenez-vous bien, 1782...
1782 pour voir la toute dernière sorcière d’Europe exécutée, en Suisse ! Elle s’appelait Anna Göldin, elle avait 47 ans.
Source
- Christian Pfister. Histoire de Nancy (tome 2). 1909.