La mort de Gambetta aux Jardies : appendicite et autopsie sanglante

De 1878 à 1882

Gambetta sur son lit de mort (E. Carjat, 1882)Gambetta sur son lit de mort (E. Carjat, 1882) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Installé aux Jardies (Sèvres) depuis 1878, le grand homme politique républicain Léon Gambetta s’y alite, à la suite d’une blessure accidentelle.

Sa santé décline, il meurt le 31 décembre 1882, à l’âge de 44 ans, après 20 jours de maladie.

La maison des Jardies

À l’origine simple maison de vignerons bâtie sur le versant sud du domaine de Saint-Cloud, la terre dite des Jardies attire Balzac, en 1837, qui s’installe dans une grande propriété voisine.

Il donne la maison de vignerons à son jardinier.

C’est « une pauvre bicoque de jardinier qui tremble au moindre souffle d’orage et que l’humidité pénètre de toutes parts », décrit Joseph Reinach, ami et biographe de Gambetta.

Elle a été agrandie plusieurs fois, au fil du temps. Le terrain, quant à lui, s’étendait, à l’origine, sur 4 hectares.

Gambetta (É. Carjat, vers 1871-76)Gambetta (É. Carjat, vers 1871-76) | ©Rijksmuseum / CC0

La chartreuse de Gambetta

C’est cette maison que Léon Gambetta achète en 1878, pour la somme (modique) de 40 000 francs, mobilier inclus.

Il s’installe avec sa compagne Léonie Léon, qui partage sa vie depuis 1872, et qu’il s’apprête à épouser.

Gambetta appelle la maison « sa chartreuse », « sa chaumière » : il veut s’y reposer, profiter du silence et de la quiétude de la campagne, non loin de la capitale.

Il écrit :

« Comme j'aime les plaisirs nouveaux pour moi de la solitude, ce grand et bienfaisant silence, ces admirables retraites des bois… ce n’est pas à mon corps, c’est à mon esprit, que j’ai rendu la liberté, le calme et le repos réparateur. »

Les JardiesLes Jardies | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

On manque de place !

Bien qu’agrandie de nombreuses fois, la maison reste petite, les pièces sont étroites et basses de plafond. On manque clairement de place.

Gambetta doit même faire construire un kiosque, aujourd’hui disparu, en bas du terrain, pour y installer sa bibliothèque !

Le mobilier originel a été vendu par la famille de Gambetta après sa mort : seule la chambre, où le grand homme est mort, a conservé son mobilier et son agencement d’origine.

Les JardiesLes Jardies | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

L'accident aux Jardies

27 novembre 1888, vers 11 heures du matin. Un coup de feu éclate !

Depuis son duel avec Fourtou, le ministre conservateur bête noire des républicains, Gambetta s’exerce régulièrement au tir.

Ce jour-là, aux Jardies, il se sert du revolver du type Smith & Wesson, offert la veille par son ami armurier Ferdinand Claudin.

Il s’est blessé à la main droite. Une balle est partie : Gambetta la reçoit dans la paume, elle ressort à quelques centimètres du poignet.

L’accident a suscité bien des rumeurs… la plus célèbre reste celle impliquant Léonie Léon, qui aurait tenté de tuer son fiancé, après une crise de jalousie maladive, dont les mauvaises langues diront qu’elle était la spécialiste...

Les JardiesLes Jardies | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Un alitement non sans conséquences

Le médecin Lannelongue est appelé au chevet du blessé.

La blessure ? Heureusement sans gravité ! Toutefois, il faut que Gambetta reste alité, avec une diète stricte.

Du coup, 11 jours après, la guérison est en bonne voie. Le 12 décembre, le convalescent passe plusieurs heures dans son fauteuil. Le 15 et le 16, il sort même se promener.

Le docteur Fieuzal écrit à la famille :

« Nous le laisserons encore une dizaine de jours au lit sans recevoir personne. »

Lourde erreur ! C’est cet alitement qui va l’achever. Il va aggraver l’inflammation chronique du gros intestin, dont Gambetta, au demeurant d’une santé fragile, souffre depuis son enfance.

Les JardiesLes Jardies | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

L'appendicite

Tout va très vite. Une forte fièvre se déclare le 16 décembre, suivie de grandes douleurs au niveau du ventre.

Les médecins diagnostiquent une pérityphlite. L’appendicite, si vous préférez.

Parmi tous les médecins présents, seul le docteur Lannelongue se prononce pour l’opération. Trop tard !

Le 31 décembre 1882, vers 19 heures, l’état de Gambetta empire brutalement. Tout est fini, peu avant minuit. Gambetta, 44 ans, n’aura jamais vu la nouvelle année 1883...

Ses derniers mots ? Ils vont à sa fiancée :

« À toi, lumière de mon âme, mon étoile, ma vie... Léonie Léon, pour toujours, pour toujours... »

Les JardiesLes Jardies | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Aurait-on pu sauver Gambetta ?

Le docteur Fieuzal reconnaîtra plus tard, dans une lettre adressée à un parent de Gambetta :

« Nous l'avons laissé mourir à force de vouloir le guérir. Sais-tu ce que nous avons oublié pendant des jours ? Tout simplement de le faire aller à la selle ! Nous ne nous sommes jamais enquis, jamais de ce détail ! Et pendant 11 jours, il n'a rien évacué ! De là l'inflammation mortelle : un simple laxatif l'aurait sauvé. »

Le rapport d'autopsie conclue à une perforation de l'appendice.

Le docteur Cornil répétait qu'une opération aurait été impossible, compte tenu de la santé fragile de Gambetta, de son surpoids (112 kg), son asthme et son diabète.

Les Jardies : chambre où Gambetta est mortLes Jardies : chambre où Gambetta est mort | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Gambetta, le premier mort embaumé grâce au formol

Le 2 janvier 1883, le gouvernement envoie aux Jardies 13 éminents médecins, autopsier la dépouille de Gambetta : parmi eux, le professeur de pathologie chirurgicale Trelat, le professeur d'anatomie pathologique Paul Brouardel, le professeur d'anatomie chirurgicale Charcot.

Pour la première fois dans l’histoire de la médecine, le docteur Baudrian utilise le formol, pour embaumer la dépouille, en l’injectant dans les artères via la carotide.

On connaissait l’embaumement par injection artérielle depuis une cinquantaine d’années, mais on utilisait des fluides à base d’alcool, notamment.

La grande nouveauté, c’était d’utiliser un liquide mis au point par le docteur Hoffman en 1868 : le formaldéhyde, ou formol.

Baudrian a d’ailleurs bien du mal à trouver la carotide, Gambetta étant tout... sauf maigre !

Les Jardies : chambre où Gambetta est mortLes Jardies : chambre où Gambetta est mort | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

L'autopsie qui vire à la boucherie

L’autopsie, réalisée dans la chambre où Gambetta a poussé son dernier souffle, aux Jardies, tourne à la scène d'horreur.

L'embaumeur Baudiau décrit :

« Quelle boucherie ! V... désossait le bras, L... coupait l'appendice, G. s'emparait d'un long fragment d'intestin, B... empaquetait le cœur dans un vieux journal, Fieuzal s'en allait avec le crâne... »

Chacun repart avec des morceaux du corps de Gambetta, comme de vraies « reliques » !

Quid de ces trophées macabres ?

Les JardiesLes Jardies | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Puzzle macabre

Le cerveau

Le professeur d’anatomie Mathias Duval emporte le cerveau dans un « linge fin imbibé d'alcool. »

L’organe pèse 1,160 kg (ce qui est plutôt léger, mais le formol l’a sans doute fait rétrécir et sécher) : il est destiné au laboratoire de la Société d'anthropologie.

Qu’est devenue la tête de Gambetta ? On ne l’a jamais retrouvée !

La main blessée

Le docteur Odilon Lannelongue emporte le bras et la main droite blessée, pour dissection et étude.

On ne sait pas ce qu'ils sont devenus.

Les intestins

Le chirurgien Victor Cornil repart des Jardies avec des morceaux d'intestins en poche.

On ne sait pas non plus ce qu'ils sont devenus.

Le cœur

Paul Bert, ami et ministre du gouvernement de Gambetta, emporte le cœur, qu'il considère comme une relique.

Un organe rendu par la veuve de Bert, puis déposé en 1891 dans le socle du monument de Gambetta, accolé à la maison des Jardies.

Le 11 novembre 1920, l’État transfère le cœur au Panthéon.

Les JardiesLes Jardies | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Inhumation à Paris et à Nice : il manque la tête !

Quand tout ce petit monde a fini le dépeçage, Baudiau rassemble ce qui reste du corps, dans le cercueil, c'est-à-dire... de maigres lambeaux.

Les restes de Gambetta sont très vite enfermés dans un triple cercueil.

Alors, quand commence le défilé de visiteurs venus se recueillir, personne ne se doute de l'état dans lequel se trouve le pauvre corps charcuté de Gambetta, en lambeaux sanglants et sans tête !

Le père de Gambetta ne voulant pas que son fils repose à Paris, comme le souhaitent les Républicains, il est décidé que son cercueil soit exposé au Palais-Bourbon, puis escorté par un cortège funèbre jusqu'au Père-Lachaise (« une houle humaine », dit la presse).

Il reste au cimetière parisien jusqu’à son départ en train pour Nice, le 14 janvier 1883. Gambetta repose au cimetière de la ville, aux côtés de sa mère et sa tante.

Le 2 avril 1909, le corps de Gambetta est exhumé, le petit caveau familial ayant été jugé trop modeste ! On le transfère dans la tombe actuelle.

C’est lors de cette exhumation, que l’on se rend compte de l'état de la dépouille, et qu'il manque... entre autres choses le bras droit et la tête !

Sources

  • Maison des Jardies, fascicule de visite édité par le Centre des Monuments Nationaux. Octobre 2021.
  • Pierre Barthélemy Gheusi. La vie et la mort singulière de Léon Gambetta. 1938.
  • Jean-Marie Mayeur. Léon Gambetta, la patrie et la République. Fayard, 2008.
  • Michel Benoit. Les morts mystérieuses de l'Histoire. Eyrolles, 2016.
  • Anne Carol. Autopsie d’un grand homme : Gambetta, 2 janvier 1883. In Parlement[s], Revue d’histoire politique. Hors série, 2021.
  • André Peyregne. Le jour où le cercueil de Léon Gambetta fût ouvert et que son cadavre fut retrouvé... décapité. Nice-Matin, nicematin.com. 3/11/2019.
  • Anne Carol. Les mystères de l’autopsie de Gambetta. In La Revue du Praticien. 2022.
  • Dominique Damamme. Corps de la République : blessure et maladie de M. Gambetta. Genèses, 1991.
  • Guillaume Bailly. Le livre de la mort. 2017. Opportun, 2017.