Mais qui se cache derrière le nom mystérieux de ce château normand, à Moulineaux, non loin de Rouen ?
La légende
Elle date du 13e siècle, écrite par un anonyme.
L’histoire en vers, épique, de Robert le Diable…
On la trouve citée dans les ouvrages suivants : Légendes infernales (Collin de Plancy), La Normandie romanesque et merveilleuse (Amélie Bosquet)...
Que raconte-t-elle, cette légende ?
Nuit noire. Hiver, été, on ne sait plus, la date a été perdue dans la gueule ténébreuse et implacable du temps.
La lueur d’une torche pétille par la meurtrière d’un château-fort.
Une dame, enveloppée de ténèbres. Seule. C’est l'épouse du duc de Normandie Aubert, Ynde.
Mais que fait-elle, à marmonner en pleine nuit… Oh, si vous saviez ! Elle invoque le Diable !
Elle est à bout. Désespérée de ne pas avoir d’enfant. Prête à tout. Au pire, à l’indicible, même...
Ainsi, neuf mois après cette nuit d’enfer naît le petit Robert. Robert le Diable. Bientôt ce surnom lui colle à la peau comme de la graisse sur du velours.
Car l’enfant en grandissant devient une horreur sur patte, une brute assoiffée de sang qui terrorisait ses compagnons et les habitants des environs.
Un soir, sa mère lui avoue son origine diabolique. Paf. Robert est comme foudroyé sur place. Cho-qué !
Il quitte sa Normandie et se lance dans une quête effrénée et folle de pénitence à tout prix.
Il partage sa nourriture avec les chiens, vit dans le plus profond mutisme, se flagelle, tout cela selon les conseils d’un vieux moine…
À Byzance, où Robert atterrit au gré de ses pérégrinations, il finit par se faire remarquer par l’empereur, qui le fait venir à sa cour et l’intègre au sein de son armée.
Bientôt, le Normand s’illustre au combat contre les Sarrasins. L’empereur lui offre même la main de sa fille : Robert refuse.
Il voulait poursuivre sa vie solitaire d’ermite muet aux quatre vents...
Qui se cache derrière la légende ?
Robert le Diable cache-t-il un personnage historique, bien en chair et en os ?
On ne sait pas vraiment ! Plusieurs pistes s’offrent à nous.
Robert le Magnifique
Il pourrait s’agir de Robert le Magnifique, duc de Normandie et paternel de Guillaume le Conquérant.
Il est vrai que l’on trouve des similitudes à leurs deux vies : jeunesse mouvementée, séjour auprès de l’empereur à Constantinople, un pèlerinage expiatoire suite à des accusations de la part de l’Église…
Mais la mère de Robert ne s’appelle pas Ynde, et il n’est jamais devenu ermite !
Robert II de Bellême
Il pourrait s’agir de Robert II de Bellême (comme évoqué dans le livre d’Éloïse Mozzani, Légendes et mystères des régions de France).
Le chroniqueur anglo-normand Orderic Vital parle de lui, dans ses écrits, d’une manière peu flatteuse, et le compare carrément au diable.
Pas étonnant que des auteurs aient plus tard repris ce surnom de Robert le Diable, en parlant de Bellême !
Robert Courteheuse
Il pourrait éventuellement s’agir de Robert Courteheuse, l’un des fils de Guillaume le Conquérant.
Ça, c’est le volume 1 de Légendes populaires de la France qui l’évoque (Le Roux de Lincy) : le fils mal aimé qui se révolte contre son père pourrait être à la base de la légende de Robert le Diable.
Quelques faits collent avec la légende : Robert a bien quitté la Normandie et voyage en Terre-Sainte ; il se révolte contre l’autorité du père et se fait bannir de la cour ducale, avant de subir la malédiction paternelle, puis provoque des incursions violentes à la frontière du duché.
Mais d’autres faits ne collent pas : la haute stature du seigneur de la légende (courte heuse veut dire courte botte, comprenez qu’il était petit) ; ses révoltes, oui, mais qui ne mènent à aucune pénitence, aucune expiation...
Le château
Aucun des personnages historiques évoqués ci-dessus ne semblent avoir construit le château de Moulineaux !
Le mystère reste entier...
La forteresse primitive remonte aux temps des ducs de Normandie.
Mais c’est Jean sans Terre qui fait construire le château actuel, au tout début du 13e siècle.
L'édifice a été reconstruit en partie dès 1905 par un élève de Viollet-le-Duc, pour le propriétaire de l’époque.