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La grande voirie de Montfaucon : équarrissage, boyauderie et asticots

Quand : 1760 - 1849

Les buttes en 1849 (A. Péquégnot) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0
Parc des Buttes-Chaumont

On vidangeait, on déversait tous les immondices sur les actuelles Buttes-Chaumont, immense décharge à ciel ouvert ! L'endroit s'appelle alors la grande voirie de Montfaucon.

L'avant voirie : le gibet de Montfaucon

Saviez-vous que les actuelles Buttes-Chaumont ont un passé bien sombre ? Noir ? Macabre ?

Car à ses pieds se dressait autrefois le célèbre gibet de Montfaucon, le plus grand de Paris !

Du 11e au 17e siècle, les cadavres de condamnés à mort, exécutés sur place ou ailleurs, finissaient ici, pendus, exposés aux quatre vents et aux becs des corbeaux.

Parmi les plus célèbres, l’Histoire a retenu les noms d’Enguerrand de Marigny, Olivier Le Daim ou encore l’amiral de Coligny...

Quand le gibet de Montfaucon a cessé d’exister, vers 1760, la ville de Paris décide de l’aménagement d’une décharge principale. La voirie de Montfaucon !

Elle servait de fosse pour enfouir les immondices urbaines, les déchets organiques des Parisiens (ordures ménagères, déjections tirées des fosses d’aisance)...

Mais elle se couvre aussi d’ateliers d’équarrissage, de boyauderie, de boucherie chevaline, de bassins pour la poudrette, un engrais produit à partir de matières fécales.

Gibet de Montfaucon

Gibet de Montfaucon | ©Internet Archive Book Images / Public domain

Les ateliers d'équarrissage

La voirie s’est vite couverte d’ateliers d’équarrissage.

Couloir de la mort des vieux chevaux malades ou en fin de vie… En 1784, on y amène 25 équidés par jour, 9125 par an.

En 1852, on compte 12 000 chevaux et 25 000 à 30 000 petits animaux tels que chats ou chiens, par an.

Henri Gisquet, préfet de police vers 1830, rapporte l’une de ses visites à la voirie de Montfaucon ; notamment à la « boucherie, appendice de chaque équarrissage » :

« Je vis une pièce assez spacieuse, aux murs de laquelle étaient suspendus, proprement dépouillés et parés avec tout le soin possible, des chiens des chats, des petits poulains extraits du ventre des juments abattues, des portions de cheval dont on avait enlevé les fractions pourries, et enfin tous les résidus d’animaux trouvés au moment de l’abattage, dans un état à peu près satisfaisant de conservation. »

Ces boucheries accueillent « la clientèle des amateurs parisiens, aussi bien que de ceux de la banlieue. »

« C’est là qu’on leur vend à bon marché de prétendus lapins, de prétendus quartiers de chevreuil bien faisandé, du filet de bœuf, des côtelettes d’agneau, de veau et de mouton, et autres morceaux de choix que l’art culinaire assaisonne au gré des consommateurs. Je dois dire pourtant que les équarrisseurs ne commettent pas de fraude ; les acheteurs savent très bien ce qu’on leur vend, et s’ils veulent absolument se faire illusion sur la qualité du gibier et des viandes, ce n’est pas la faute du marchand. »
Chantiers d'équarissage des Buttes Chaumont

Chantiers d’équarrissage des Buttes Chaumont | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Boyauderie et asticots

La crinière et les crins de la queue des chevaux sont coupés, puis vendus aux cordiers, bourreliers, tapissiers.

La peau est envoyée aux tanneurs.

Les carcasses dont on ne faisait rien étaient laissées à terre, bientôt recouvertes de milliers d’asticots… qui, eux aussi, trouvaient preneurs chez les pêcheurs ! Rien ne se perd, vraiment rien…

La façon de les élever ?

On étale les organes et particulièrement les intestins des chevaux équarris, on en fait une couche d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur, sur laquelle on jette de la paille, pour éviter un dessèchement trop rapide.

Des mouches se posent sur les matières étalées et pondent leurs œufs.

Quelques jours après, vous obteniez vos asticots grouillant à souhait, prêts à être ramassés...

Montfaucon au XIXe s.

Montfaucon au 19e s. | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Des rats, partout !

Bien sûr, la grande voirie de Montfaucon est envahie par les rats ! Avec les dégâts que cela engendre :

« Toutes les éminences voisines de Belleville ont été perforées par les rats, à un tel point que le terrain tremble sous les pieds ; les parties les plus escarpées, minées de cette manière, se sont écroulées, en laissant à découvert les galeries creusées par les rats et les trous dans lesquels ils se retirent. »

C'est une masse grouillante, que rien n'arrête, qui se répand sur toute la butte :

« Leur voracité est telle, que si on laisse une nuit les carcasses des chevaux abattus dans un coin du clos, le lendemain matin, elles sont entièrement dépouillées des chairs qui y étaient restées adhérentes. Si pendant l’hiver, dans les grands froids, lorsque les ouvriers ne peuvent travailler, on y laisse quelque cadavre de cheval ; les rats pénètrent dans le corps de l’animal par la blessure, s’il a été saigné, ou par toute autre issue naturelle, lorsque la peau est restée intacte. Ils s’y établissent et le dévorent, en sorte que lorsque vient le dégel, l’ouvrier ne trouve plus sous la peau qu’un squelette mieux dépouillé et préparé qu’il n’eût pu l’être par le plus habile anatomiste. »
Révolte des rats de Montfaucon (H. Daumier, 1856)

Révolte des rats de Montfaucon (H. Daumier, 1856) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

La poudrette, un engrais nauséabond

En bas de la Butte, des bassins luisent au soleil... On en compte cinq (surnommés les « marmites d’Enfer ») : ce sont les vidanges de toutes les fosses d’aisance de la capitale.

Les matières solides qui la composent sont séparées des matières liquides, et servent à fabriquer un engrais : la poudrette.

Les matières liquides, elles, ont leur trop-plein qui se déverse dans le canal Saint-Martin.

Mais comment obtient-on la poudrette ?

Chaque année, au mois de mai, on dessèche les matières amoncelées provenant des vidanges, en les retournant plusieurs fois par jour.

Ces matières fermentent, chauffent (s’enflamment parfois), puis aux mois de septembre et octobre, elles refroidissent.

Elles prennent l’aspect « d’une moisissure grisâtre, graisseuse au toucher », avec « une légère odeur nauséabonde. »

Pendant la fermentation, elles répandent des gaz qui peuvent devenir mortels : ainsi, une cargaison de poudrette, à destination de la Guadeloupe, a causé la mort de la moitié de l’équipage et l’intoxication de l’autre moitié !

Chantiers d'équarissage des Buttes Chaumont

Chantiers d’équarrissage des Buttes Chaumont | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Odeur, ambiance : l'enfer sur terre !

Avec toutes ces sympathiques activités, l’air de la grande voirie est saturé d’air empoisonné.

De l’hydrogène sulfuré, de l’hydro-sulfate d’ammoniac se dégageaient en vapeur.

Il arrive que des oiseaux, passant au-dessus des buttes, tombent raides morts !

Alors que dans les environs immédiats des buttes, les murs, les planches, les maisons, tout était rongé par la décomposition.

Je ne vous raconte pas l’odeur, surtout les chaudes journées d’été : les relents putrides se font disséminer parfois très loin, par le vent… Bref, c’est l’enfer sur terre, aux portes de Paris.

« Qu’on se figure ce que peut produire la décomposition putride de monceaux de chairs et d’intestins abandonnés, pendant des semaines ou des mois, en plein air et à l’ardeur du soleil, à la putréfaction spontanée ; qu’on y ajoute la nature des gaz qui peuvent sortir des monceaux de carcasses qui restent, garnies de beaucoup de parties molles ; qu’on y joigne les émanations que fournit un terrain qui, pendant des années, a été imbibé de sang et de liquides animaux ; celles qui proviennent de ce sang lui-même qui reste sur le pavé, sans pouvoir s’écouler ; celles enfin des ruisseaux de boyauderies et des séchoirs du voisinage ; que l’on multiplie autant que l’on voudra les degrés de la puanteur, en la comparant à celle que chacun de nous a été à même de sentir, en passant auprès des cadavres d’animaux en décomposition, et l’on n’aura qu’une faible idée de l’odeur repoussante qui sort de ce cloaque, le plus infect qu’il soit possible d’imaginer. »

Conclusion

Enfin ! Dès 1817, une ordonnance royale décrète le transfert de la voirie de Montfaucon dans la forêt de Bondy, le long du canal de l’Ourcq.

Un déménagement qui n’arrive finalement qu’en 1845...

En 1849, quand la voirie de Montfaucon est définitivement supprimée, la ville de Paris crée à La Villette un immense « dépotoir » (c’était son nom), dans lequel toutes les matières sont apportées puis mises en communication avec le canal de l’Ourcq.

Sources

  • Le nouveau Paris, histoire de ses 20 arrondissements.
  • Alexis Parent-Duchatelet. Hygiène publique (tome 1). 1836.
  • Donald Reid. Égouts et égoutiers de Paris. Presses universitaires de Rennes, 2019.
  • Alexandre Baudrimont. Dictionnaire de l'industrie manufacturière, commerciale. 1833.
  • Louis Fleury. Cours d'hygiène fait à la faculté de médecine de Paris (tome 1). 1852.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !