
De la « croix éloignée »... à la Croix des Veuves !
La kroaz pell ou « croix éloignée » en breton, connue au 19e siècle sous le nom de croix du Salut ou du Pilotage, date de 1714. Couronnée d'une piéta, c'est le recteur de l'époque, dom Yves Cornic, qui la fait construire : il s'agit d'une des étapes d'un chemin de croix.
Bien plus tard, on la rebaptise Croix des Veuves. À cause du célèbre roman de Pierre Loti (1850-1923), Pêcheurs d'Islande (1886) !
Écrivain et officier de marine, les romans de Loti sont nourris par ses voyages autour du monde. Pêcheurs d'Islande a été un vrai succès. Il y décrit avec justesse la terrible vie des pêcheurs bretons de la région de Paimpol, partis pour de longues campagnes de pêche à la morue, en Islande. La mort les y attend souvent, avec la mer pour tombeau...
Il est vrai que Ploubazlanec et sa région ont été durement marqués par l'épopée de la pêche à la morue en Islande, de 1852 à 1935 !
C'est ainsi que l'écrivain-voyageur fait de la croix de Ploubazlanec le lieu où les épouses de ces marins attendent, anxieuses, le retour des goélettes, priant pour que les équipages soient au complet.
Notamment son héroïne, Marguerite (dite Gaud), qui attend fébrilement le retour de son fiancé Yann, scrutant l'horizon à s'en abimer les yeux :
« Maintenant elle avait pris l’habitude d’aller dès le matin tout au bout des terres, sur la haute falaise de Pors-Even, passant par derrière la maison paternelle de son Yann pour n’être pas vue par la mère ni les petites sœurs. Elle s’en allait toute seule à l’extrême pointe de ce pays de Ploubazlanec qui se découpe en corne de renne sur la Manche grise, et s’asseyait là tout le jour aux pieds d’une croix isolée qui domine les lointains immenses des eaux… Il y en a ainsi partout, de ces croix de granit, qui se dressent sur les falaises avancées de cette terre des marins, comme pour demander grâce ; comme pour apaiser la grande chose mouvante, mystérieuse, qui attire les hommes et ne les rend plus, et garde de préférence les plus vaillants, les plus beaux. [...] Et Gaud, assise au pied de sa croix, restait là, au milieu de ces tranquillités, regardant toujours, jusqu’à la nuit tombée, jusqu’à ne plus rien voir. »

Le saviez-vous ? Pêcheurs d'Islande est né d'un amour déçu !
Pour son héroïne Gaud, Loti s'est inspiré... d'une jeune Costarmoricaine, dont il était tombé amoureux, en 1882 !
« C’était une fille de pêcheur, brunie à la mer, de cette race des Côtes-du-Nord qu’on appelle les Islandais. » Entre 1882 et 1884, Loti va vivre l'enfer. Il lui fait des avances, elle le repousse. Il va la voir dans son village des Côtes-d'Armor, à Pors Even (près de Ploubazalnec, où se trouve la Croix des Veuves), la demande en mariage.
PariElle refuse ! La demoiselle le hante deux ans durant. Elle finira pas en épouser un autre, en 1884. Et Loti, meurtri à jamais, s'inspirera de cette anonyme pour son héroïne et son roman...
C'est d'ailleurs à Pors Even que Loti pose ses valises et écrit son Pêcheurs d'Islande, s'inspirant de ses habitants pour tous ses personnages.
Sources
Gordon CarterPloubazlanec revivre le passé : des origines à la Grande GuerreÉditions du Dossen, 1987
François ChappéLoti en son tempsPresses universitaires de Rennes, 1994