La cité médiévale de Rieux-Volvestre, cadre du premier procès de l'affaire Martin Guerre

Rieux-Volvestre : Place de LasticRieux-Volvestre : Place de Lastic | ©Caroline Léna Becker / Flickr / CC-BY

En deux mots, pour commencer

C’est en 1560 à Rieux-Volvestre, pittoresque petite commune médiévale entre Toulouse et Saint-Gaudens (Haute-Garonne), que s’est joué l'un des procès les plus incroyables de l’Histoire de France : l’affaire Martin Guerre.

L'une des plus mythiques histoires d’usurpation d’identité !

Ledit Guerre aurait même été emprisonné un temps dans la bâtisse dite de la Tourasse, à Rieux.

Les noces de Martin et de Bertrande

1538, Artigat, Ariège. On vient de marier deux enfants de 12 ans ! Bertrande de Rols et Martin Guerre.

C'est en 1527 que le paternel de celui-ci, Sanxi Aguerre, quitte son pays basque natal pour s'installer à Artigat, avec sa famille.

Là, Aguerre, devenu Daguerre (à la languedocienne) se fait paysan et briquetier prospère.

En 1546, Bertrande et Martin n'ont toujours pas d’enfants. Les ragots, vous savez, vont bon train.

On met en doute les capacités mâles de Guerre... Après deux, trois génuflexions sur les conseils du curé, un fils leur naît enfin.

Rieux-Volvestre : la cathédraleRieux-Volvestre : la cathédrale | ©Caroline Léna Becker / Flickr / CC-BY

Martin Guerre prend le large

En 1548, Martin Guerre se brouille avec son paternel, pour une histoire de vol de grains. Un vol, à l'époque, considéré comme un grave délit, chez les Basques !

Martin annonce donc à Bertrande s’en aller un temps prendre le large, histoire que la colère du vieux retombe. Jours, mois, années passent... 8 ans, sans que Martin ne revienne !

Plus de Martin. Plus de paternel non plus... hé oui ! Le père Guerre mort d’un accident de cheval, c’est l’oncle, Pierre Guerre, qui devient chef de toute la famille, après avoir épousé la mère de Bertrande.

Rieux-VolvestreRieux-Volvestre | ©Caroline Léna Becker / Flickr / CC-BY

Un fantôme de retour

À l’été 1556, un homme apparaît bientôt au village, couvert de la lourde poussière sèche de chemins lointains. Martin !! Le cri est unanime !

Sœurs, oncle, villageois… tous le reconnaissent et lui tombent dans les bras. Bertrande l'accueille au logis familial, sans se poser de questions.

Et la vie reprend son cours, encore mieux qu’autrefois. Martin gère le domaine d’une main de maître, ce n’est plus le même. Bertrande et lui ont deux filles.

Un qui lui en veut, pourtant, c’est l’oncle. Qui a été chassé de sa place de chef de famille.

On le voit, en plus, qui se prend sans arrêt le bec avec Martin. Non mais, il avait osé lui réclamé l'héritage de son père, plus une indemnité sur les revenus générés sur le patrimoine familial pendant son absence, le bougre !

C’est simple : l’oncle ne reconnaissait plus son neveu, et s'en plaint à plusieurs villageois. Martin Guerre est-il vraiment Martin Guerre ? Mais sans preuves... que faire ?

Rieux-VolvestreRieux-Volvestre | ©Père Igor / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Pierre Guerre enquête (et ça promet)

Figurez-vous que la preuve tant attendue arrive le jour où Pierre Guerre rencontre un soldat qui a connu Martin Guerre. Lui dit que ce type, là, à Artigat... n’est pas Martin !

Le « vrai » Guerre se trouve en Flandre, dans l'armée espagnole... avec sa jambe de bois ! Il a été amputé suite à la bataille de Saint-Quentin.

Parti en Espagne après le vol de grains à Artigat, Martin était devenu laquais au palais épiscopal de Burgos, puis soldat dans l'armée espagnole.

Pierre Guerre, comme deux ronds de flan, apprend également que ce pseudo Martin Guerre, revenu de nulle part... s'appelle en réalité Arnaud du Tilh, dit Pansette. Un drôle de zig originaire de Sagias, en Gascogne !

Premier procès, à Rieux-Volvestre

En 1560, l’affaire est portée devant le juge de Rieux (actuelle Rieux-Volvestre), alors siège d’une judicature royale. Martin y est emprisonné en attente de son procès, probablement dans la maison dite de La Tourasse.

Il se défend comme un beau diable, rappelle que tout le monde l’a reconnu, à Artigat, rapporte mille détails sur son enfance, son mariage. Détails… troublants de vérité !

150 témoins défilent, parfois venus de loin :

  • 40 d'entre eux reconnaissent Martin Guerre. Hé, quoi ! Il a toutes ses particularités physiques ! Deux doubles dents à la mâchoire inférieure, une cicatrice au front, trois verrues sur la main droite, une tache rouge à l’œil gauche... ça ne s'invente pas !
  • 50 estiment qu’il s’agit du nommé Arnaud du Tilh ;
  • 60... ne savent pas pour qui se prononcer.

Un vieux soldat, Carbon Barreau, glapit en voyant l’accusé : il s’agit bien de son neveu Arnaud du Tilh, surnommé Pansette, à cause de son frère Jacques Panse.

Un témoignage qui fait vaciller le juge... juge qui décide que Martin/Arnaud sera exécuté, son corps ensuite dépecé en morceaux.

L'accusé ne se démonte pas ! Il fait appel auprès du Parlement de Toulouse, pour y plaider sa cause. L’instruction peut commencer !

Rieux-VolvestreRieux-Volvestre | ©Père Igor / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Second procès, à Toulouse

Les plus grands juristes se retrouvent à Toulouse pour ce procès hors normes. Même le grand Michel de Montaigne a fait le déplacement !

Jean de Coras, conseiller au parlement de Toulouse, instruit le procès.

La tâche est rude ! Il faut reprendre tous les témoignages, multiplier les interrogatoires, les confronter. De nouveaux témoins sont même entendus.

Comme le cordonnier d’Artigat, qui assure qu’avant son départ, Martin Guerre chaussait du 12 pouces : quand il revient, il n’en fait plus que 9.

Les magistrats, devant cette avalanche de témoignages, préfèrent ajourner la cause et mettre le prisonnier en liberté provisoire.

Martin revient à Artigat retrouver Bertrande, qui, rapporte Jean de Colas dans son rapport, « le caressa comme son mari, lui bailla chemise blanche et après couchèrent ensemble » !

Mais l’oncle Pierre, qui ne lâchait rien, vient chercher Martin le lendemain par le col de chemise, pour le ramener à sa prison toulousaine. On n'en a pas fini !

Arrêt du Parlement de Toulouse (1560), affaire M. GuerreArrêt du Parlement de Toulouse (1560), affaire M. Guerre | ©Archives départementales de la Haute-Garonne

Coup de tonnerre : le vrai Martin surgit !

Les audiences toulousaines reprennent. Coras est sur le point de démontrer l’innocence de Tilh, lorsque, incroyable… le VRAI Martin Guerre apparaît, pilon à la jambe !

Il est temps de rappeler les témoins. Tous, absolument tous reconnaissent le dernier venu comme étant Martin Guerre : ses 4 sœurs, les villageois d'Artigat, l'oncle.

Bertrande, enfin, qui éclate en sanglots et demande pardon, « par les séductions et impostures du monstre qui l’abusa. » Le nouveau venu la houspille sévèrement...

Et Arnaud du Tilh raconte : en Normandie, il a sympathisé avec Martin, qui lui raconte sa vie par le plus menu détail. L’idée lui vient, plus tard, en passant par Artigat pour se rendre en Espagne, de se faire passer pour son ami. Afin de prendre sa place.

Pas compliqué, l’autre lui avait tout raconté, et Arnaud a une mémoire encyclopédique…

La condamnation

Un arrêt du 12 septembre 1560 reconnaît Arnaud du Tilh coupable d'imposture, d'adultère et de sacrilège, et le condamne à être pendu à Artigat devant la maison de Martin Guerre.

Cette maison qui, pendant 3 ans, avait été la sienne...

Avant de mourir, il devait revêtir l'habit de pénitent et, pieds nus, se rendre devant l'église d'Artigat demander pardon à genoux au roi, à Bertrande, aux villageois, à Martin.

Il prie celui-ci d'être bon avec son épouse, qui n'était coupable de rien et n'était que vertu et honneur.

Complicité de Bertrande ?

Quid de Bertrande de Rols ?

L’historienne Natalie Zemon Davis, qui a écrit sur l'affaire et a participé à la rédaction du scénario du film français Le Retour de Martin Guerre (1982), explique qu'elle s'est probablement doutée qu'Arnaud du Tilh était un imposteur.

Pendant un moment, elle se rend même complice de la fraude : elle avait besoin d'un mari, et Arnaud la traitait bien mieux que Martin...

Elle lui reste en tous cas un moment fidèle, inébranlable face à l'oncle Pierre, aux sœurs de Martin Guerre et à tous les habitants d'Artigat qui se retournent contre l'homme prétendant être Martin.

Avant elle-même de se retourner contre lui au procès de Toulouse...

À savoir !

  • L'affaire Martin Guerre a inspiré le film Le Retour de Martin Guerre (1982) à Daniel Vigne, avec Gérard Depardieu et Nathalie Baye. Le tournage s'est d'ailleurs, en partie, déroulé à Rieux-Volvestre ;
  • Un remake américain du Retour de Martin Guerre sort en 1993 : Sommersby, avec Richard Gere et Jodie Foster ; l'histoire a été transposée pendant la guerre de Sécession.

Sources

  • Xavier François-Leclanche. L'écornifleur d'Artigat : histoire apocryphe de Martin Guerre. 1992.
  • Daniel Fabre. Natalie Zemon Davis, The Return of Martin Guerre. In Annales. Économies, sociétés, civilisations (41ᵉ année, n°3). 1986.
  • Manuel Michelena. Hendaye et son histoire. Éd. du Mondarrain, 1987.