L'ombre de la comtesse de Castiglione hante le Père-Lachaise

De 1837 au 28 nov. 1899

La tombeLa tombe | ©Pierre-Yves Beaudouin / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

La plus belle

« La plus belle femme d’Europe ». Vous voilà prévenus !

Son nom ? Virginia Oldoïni, comtesse Vérasis de Castiglione.

Née en 1837 à Florence. Papa marquis diplomate. Sa mère ne fait que répéter « J’ai engendré ce chef-d'œuvre », devant cette enfant déjà si belle et d’un caractère bien trempé.

Sa mère rêve pour elle d’une vie prestigieuse, socialement et financièrement. L’occasion se présente en la personne du jeune veuf et très beau François Vérasis, comte de Castiglione.

Mariée à 16 ans, Virginia devient la coqueluche de tous les palais.

Mais l’Italie bouillonne, à l’époque. Elle n’est encore qu’une grande mosaïque d’états, dont plusieurs sont sous domination autrichienne.

Son cousin Cavour se dit qu’envoyer Virginia en France séduire Napoléon III, pour que la France s’engage aux côtés de la future Italie pour son indépendance, serait une bonne chose… Napoléon III tombe amoureux, bien sûr !

La comtesse (Pierre-Louis Pierson, 1863-66)La comtesse (Pierre-Louis Pierson, 1863-66) | ©Metropolitan Museum of Art / CC0

Le fantôme de la place Vendôme

Évoquons la fin de vie de la comtesse.

Elle avait gardé plusieurs appartements à Paris, dont elle payait la location, mais qu’elle n’habitait pas.

Elle était devenue un fantôme, un reliquat de ce second Empire déchu, condamnée à vivre dans un monde qu’elle ne comprenait plus.

C’est dans un entresol de la place Vendôme qu’elle décide de se cacher aux yeux de tous, des siens aussi.

Les miroirs et les glaces y étaient interdits. Les volets fermés jour et nuit.

La nuit tombée, elle se glissait hors de sa tanière, habillée de noir, à l’ancienne, le visage couvert d’une voilette, suivie de petits chiens minuscules et obèses.

Le roman d'une favorite : la Comtesse de Castiglione (Frédéric Loliée, 1912) décrit l’intérieur de cet appartement, après la mort de la comtesse :

« Quand on ouvrit ce local sombre et poussiéreux, où s'installèrent les ateliers de confection d'un couturier, on y trouva, sur un coussin gros bleu cerclé d'un câble d'or, orné de glands, aux quatre coins, un ravissant moulage d'un petit bras d'enfant, en mémoire du fils qu'elle avait perdu et qui s'était appelé Georges. Le logis, en soi-même, n'offrait rien de très merveilleux, quant à la décoration intérieure. Ce qui m'avait frappé surtout, c'était la médiocrité des étoffes de tenture, également gros bleu, tapissant la chambre, et dont la teinte avait été choisie, évidemment, pour absorber et réduire la lumière. Au plafond, les plis froncés se rejoignaient en une rosace, avec un bouillonné au centre. La salle à manger était tendue pareillement, mais en vieux rose. L'ensemble était obscur ; les pièces, étroites et basses, ne donnaient guère l'idée d'un nid coquet, harmonieux et doux. »

La comtesse (Pierre-Louis Pierson, années 1860)La comtesse (Pierre-Louis Pierson, années 1860) | ©Metropolitan Museum of Art / CC0

Un mari chaud !

Elle est devenue la folle de la place Vendôme, comme on l’appelle.

Son fils est mort en 1879.

Imaginez-la, au n° 26 de la place Vendôme, dans les longues nuits d’hiver, seule dans la pénombre immense et glacée.

Elle avait adopté la bouillotte, qu’elle appelait son « mari chaud. »

Un soir, ladite bouillotte roule par terre et lui brise le doigt de pied (vu dans Le roman d'une favorite : la Comtesse de Castiglione, Frédéric Loliée, 1912) :

« Clouée au lit pour amputation charcutière de mon deuxième doigt du pied gauche. L’effet d’un ridicule accident. La chute du lit et le choc de la boule d’eau bouillante, qui me sert de mari chaud. »

La comtesse, Série des Roses (Pierre-Louis Pierson, 1895)La comtesse, Série des Roses (Pierre-Louis Pierson, 1895) | ©Metropolitan Museum of Art / CC0

Les derniers moments

Contrainte de quitter son entresol, car le joaillier Boucheron qui vient de s’installer sur la place veut récupérer l’entresol où elle loge, elle s’installe dans l’arrière-cour du 14 rue Cambon.

La comtesse meurt entourée d’une servante et de quelques garçons de café, veillée par sa vieille nourrice Luisa Corsi.

Un témoin qui assiste à ses derniers moments écrit cette lettre à l'homme politique Louis Estancelin (vu dans Le roman d'une favorite : la Comtesse de Castiglione, Frédéric Loliée, 1912) :

« La pauvre comtesse est morte cette nuit, des suites d’une apoplexie cérébrale qui l’a frappée, dimanche à deux heures, et qui a été aggravée d’une paralysie du côté gauche. Elle s’est éteinte très doucement cette nuit, à trois heures trente minutes... »

La comtesse (Pierre-Louis Pierson, 1893)La comtesse (Pierre-Louis Pierson, 1893) | ©Metropolitan Museum of Art / CC0

Dernières volontés

Son testament ? Elle y avait annoté en marge, en grosses lettres rouges : « Pas d’héritiers. Sans aucune famille ni en France ni en Italie, quoiqu’il y en ai de mêmes noms tout à fait étrangers, soit Oldoïni, Raspallina, Lamporecchi, de Castiglione... »

Elle reniait tout simplement tous liens de parenté.

Elle voulait qu’après sa mort, on l’oublie. Pour cela, elle avait donné de très strictes instructions : pas d’obsèques, pas de cortège, ni fleurs, ni articles, ni biographies.

Elle spécifie dans son testament la façon dont elle veut apparaître dans son cercueil.

Le roman d'une favorite : la Comtesse de Castiglione (Frédéric Loliée, 1912) rapporte :

« Chemise de nuit de Compiègne, 1857, dentelles et peignoir long rayé. Au cou, le collier de perles petite fille, neuf rangs, collier que j’ai toujours porté ; aux bras nus et pendants, mes deux bracelets. L’oreiller, d’ores et déjà par moi désigné et préparé, en tapisserie point de croix, avec quatre coins, bouquets de pensées brodés. Les deux chiens de la place Vendôme (empaillés) seront, pendant la nuit finale, placés aux pieds, voulant être veillés par mes chiens morts, Sandouga et Kasino ; et les remettre en même place dans la bière, un sous chaque pied formant coussin. »

Au Père-Lachaise

Elle rêve d’un tombeau dans les Alpes en marbre blanc, à la frontière italienne... elle n'aura que ce modeste tombeau perdu au milieu de la mer de tombes du Père-Lachaise.

Aucunes de ses volontés ne sont respectées : ses bijoux seront vendus à Drouot, un service religieux sera célébré à La Madeleine, et cette simple dalle de granit au Père-Lachaise, au lieu du marbre dans les Alpes.

Sources

  • Frédéric Loliée. Le roman d'une favorite : la comtesse de Castiglione. 1912.
  • Frédéric Loliée. Les femmes du second empire (papiers intimes). 1906.