La salle du Jeu de paume avant le serment
Pas de salle à Versailles !
La salle du jeu de paume de Versailles date de 1686.
C’est le roi qui s’y rendait pour pratiquer ce jeu, ancêtre du tennis.
Tous les châteaux des rois de France en avaient une : Vincennes, le Louvre, Fontainebleau… mais pas encore Versailles !
En 1684, les Mémoires de Dangeau nous montre la famille du roi qui y joue dans les allées du Trianon.
« Maistre paulmier du roy »
On avait confié les fonctions de « maistre paulmier du roy et concierge des jeux de paulme de sa Majesté » à un certain Jean Bazin, déjà propriétaire d’une salle de jeu de paume, à Saint-Germain-en-Laye.
C’est lui qui fait aménager la salle à Versailles, avec son gendre Nicolas Cretté.
Ils achètent pour cela deux terrains contigus dans la rue du Jeu-de-Paume actuelle, et font construire leur salle
- avec des pierres de taille de Meudon, pour l’extérieur ;
- de pavés de pierre de Caen, au sol à l’intérieur.
Les joueurs transpirent !
On a, à l'époque, pour décoration :
- un plafond peint en bleu, orné de fleurs de lys d’or ;
- des murs en noir selon l’usage, pour mieux voir les balles blanches ;
- des galeries sur trois faces.
Jouxtant le bâtiment, un petit local permettait aux joueurs couverts de sueur, après une partie, de s’y faire frictionner devant un bon feu !
Le 3 décembre 1686, le dauphin inaugure la salle.
Les prémices du serment : les États-Généraux
Une crise sans précédent
Tout commence avec Louis XVI, qui convoque le 5 mai 1789 les États-Généraux, dans la salle des Menus-Plaisirs, à Versailles.
Une très grave crise financière frappe la France, depuis trop longtemps !
Les États-Généraux, c’est la réunion des trois ordres de la société : clergé, noblesse et tiers état.
Ils n’ont lieu qu’en cas de circonstances exceptionnelles, de crise politique, financière, par exemple.
Et là, misère… il y a comme une urgence… ils ne s’étaient pas réunis depuis… 1614 !
L'assemblée de Bailly
Le tiers état espère des réformes. Mais à la sortie des États, rien. Rien ! On est déçu.
Le tiers refuse alors de siéger par ordre et se constitue en Assemblée nationale, le 17 juin 1789, se déclarant comme représentant des « quatre-vingt-seize centièmes de la nation ».
À leur tête, comme président provisoire, Sylvain Bailly, mathématicien et astronome, futur tout premier maire de Paris.
Il est l’auteur, avec un certain docteur Guillotin, du cahier de doléances du tiers état de Paris, où il demande... la démolition de la Bastille !
Tous au Jeu de paume !
Furieux, le roi s’oppose à la réunion de cette assemblée et fait fermer la salle des Menus-Plaisirs.
On trouve donc portes closes, le 20 juin ! Où aller ? Les avis divergent. La grande galerie de la place d’Armes, en face du château ? À Marly-le-Roi ?
Soudain, la voix du docteur Guillotin résonne : « Rendons-nous au jeu de paume de la rue Saint-François ! »
Silence, puis… un brouhaha d’approbation secoue la foule. Tout le monde est d’accord, en marche !
Bailly écrit :
« Je marchais à la tête de cette foule de députés, qui d’abord étaient séparés par pelotons et qui peu à peu s’étaient réunis. Dans la crainte que quelque raison politique ne nous en fit fermer l’entrée, je priai cinq ou six députés de se détacher et d’aller s’en emparer. »
La salle du Jeu de paume est libre, personne sur le chemin...
Les députés prêtent serment
La séance est ouverte !
Bailly fait placer deux députés à la porte de la salle, pour empêcher les étrangers d’entrer.
Une porte sur deux tonneaux fait office de bureau au président Bailly.
Celui-ci écrira :
« On m’offrit un fauteuil ; je le rejetai : je ne devais pas être assis devant l’Assemblée debout ; je restai ainsi toute cette journée pénible. Nous n’eûmes pendant toute la séance que cinq ou six bancs et une table pour écrire. »
Les députés arrivent au compte-goutte.... puis la séance s’ouvre !
La rédaction du serment
Une discussion houleuse s’engage. Certains veulent que l’assemblée aille à Paris, se mettre à l’abri d’une éventuelle dissolution ou d’attaques.
Un député, Mounier, de Grenoble, propose alors de tous se lier par un serment.
L’idée adoptée, Bevière, de Paris, rédige le serment :
« Nous jurons de ne jamais nous séparer et de nous réunir partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. »
Bailly, debout sur sa table improvisée, lit le texte d’une voix si puissante, qu’on l’entend dehors jusque dans la rue !
« J’en prononçai la formule à voix si haute et si intelligible, que mes paroles furent entendues de tout le peuple qui était dans la rue ; et sur le champ, au milieu des applaudissements, il partit de l’Assemblée et de la foule des citoyens qui étaient dehors, des cris réitérés et universels de Vive le roi. »
Dauch, le député... qui dit non !
Tous les députés viennent apposer leurs noms et signer. Ils sont 300. Pour cela, on les appelle par ordre alphabétique des baillages et des sénéchaussées.
C’est pendant ces signatures du procès-verbal, que le député de la sénéchaussée de Castelnaudary, Joseph Martin Dauch, accole à son nom le mot « opposant ».
Des cris fusent dans la salle. On s’agite ! Bailly réclame le calme, demande à entendre ses raisons.
Dauch explique qu’il « ne croit pas pouvoir jurer d'exécuter des délibérations qui ne sont pas sanctionnées par le Roi. »
Bailly répond que l’Assemblée reconnaitra toujours la nécessité de la sanction royale, mais que ce serment n’était pas susceptible de recevoir cette sanction.
On lui fait des reproches, on finit par le faire sortir par une porte arrière.
On délibère sur le fait de laisser ou non sa signature : l’Assemblée décide de la laisser, « pour prouver la liberté des opinions », le serment ayant été pris à l’unanimité des voix… moins une !
Malades !
Deux membres malades se font transporter sur place : Maupetit (de Mayenne) et Goupilleau (de Vendée).
Le premier, indisposé chez lui, raconte :
« Depuis trois jours que j’avais la fièvre à la suite d’un rhume violent, je n’avais rien pris de solide depuis ces trois jours. »
Ayant appris qu’on se réunit, il s’habille :
« Quoiqu’en sueur, j’eus toutes les peines à m’y rendre. En arrivant, je demandai qu’on me laissât signer, et malgré ma faiblesse, dix ou douze qui entouraient le bureau s’y opposèrent. Un député voyant que je ne pouvais me soutenir m’offrit de me céder une place sur un bout de planche. Je prends ma plume et je signe. »
C’est ce Maupetit, que l’on voit représenté par David, dans son célèbre tableau Le Serment du Jeu de paume (1792), porté sur une chaise au premier plan, dans le coin inférieur gauche !
Le voilà ci-dessous :
Le serment qui rend fou !
Un des signataires, un sieur Mayer, de Sarreguemines, était le lendemain du serment… devenu fou.
« Il avait prêté le serment et en avait la conscience bourrelée. Il était à côté d’un filou qui venait de voler sous le costume d’un député du tiers. Lorsqu’on est venu prendre ce filou, il a cru qu’on arrêtait tous les députés du tiers, pour avoir fait le serment. La peur l'a pris et la tête lui a sauté. »
Les archives mentionnent :
« Le sieur Mayer a tout à fait perdu la tête ; il a été obligé de revenir à la maison, et il est urgent de le remplacer. »
Quelle que soit la cause de la folie subite de Mayer, sa signature a été son dernier acte politique.
Il ne revient jamais à l’Assemblée, démissionne, et se fait remplacer en janvier 1790 !
La suite des évènements
Portes closes !
Que se passe-t-il le lendemain du serment du Jeu de paume ? Le 21 juin est un dimanche : il n’y a pas de réunion !
Or, le lundi 22, on trouve la salle du jeu… fermée ! Sur ordre du roi, bien sûr.
Le clergé de la cathédrale Saint-Louis de Versailles accueille l’Assemblée, qui renouvelle son serment dans cette église, rejoint par un grand nombre de députés du clergé et… deux députés de la noblesse.
Mirabeau tient tête
Le 23 juin 1789, le roi tient séance aux Menus-Plaisirs.
Il interdit aux trois ordres de siéger ensemble, promettant au passage des réformes sur impôts, tailles et corvées.
Puis, Louis XVI parti, les gardes commencent à disperser les députés, qui refusent de bouger.
C’est là que Mirabeau lance son célèbre :
« Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous ne quitterons nos places que par la force des baïonnettes ! »
Le roi capitule
Le 25 juin, 47 députés de la noblesse rejoignent l’Assemblée.
Le 26, c’est 6 évêques, curés et archevêques qui viennent grossir les rangs.
Le 27 juin 1789, le roi, blasé, capitule :
« Eh bien, s’ils ne veulent pas s’en aller, qu’ils restent ! »
Et pour finir...
Le serment du Jeu de paume amène la création de l’Assemblée nationale constituante, dont seront issues :
- l’abolition des privilèges, le 4 août 1789 ;
- la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, le 26 août 1789.
La salle du Jeu de paume après le serment
La salle du Jeu de paume devient l’atelier du peintre Antoine-Jean-Gros en 1804, puis celui du peintre Horace Vernet.
Le musée de la Révolution française y est inauguré le 20 juin 1883, après la restauration de la salle entre 1880 et 1882, par Edmond Guillaume, grand prix de Rome et architecte du château de Versailles.
C’est à lui que l’on doit les décors intérieurs de la salle actuelle !
Mais quels sont-ils, ces décors ?
La statue de Bailly
Derrière la statue de Sylvain Bailly, l’édicule à deux colonnes en marbre provient du bosquet des Dômes, anciens Bains d’Apollon du parc du château de Versailles.
Une frise, des signataires
Autour de la salle, on remarque une frise de feuillages, avec le nom des 300 signataires du serment.
Les bustes
20 bustes des membres les plus célèbres de l’Assemblée décorent la salle.
Parmi eux :
- le prieur dom Christophe Gerle, premier de son ordre à se rallier au tiers état ;
- l’abbé Grégoire, fervent abolitionniste de l’esclavage ;
- Tronchet, futur rédacteur du Code Civil...
La copie du tableau de David
À l’un des bouts de la salle, une toile de Luc-Olivier Merson de 1883.
Il s'agit de la copie du tableau de Jacques-Louis David Le Serment de Jeu de Paume (1792).
Les vers de Chénier
À l’autre bout, on remarque, dans des couronnes de feuilles de chêne, des strophes empruntées à un poème d’André Chénier, guillotiné à Paris en 1794 à 31 ans :
« Qu’au lit de mort, tout Français pleure, S’il n’a point vu ces murs où renaît son pays. Que Sion, Delphe, et la Mecque, et Saïs Aient de moins de croyants attiré l’œil fidèle. Que ce voyage souhaité Récompense nos fils. Que ce toit leur rappelle Ce Tiers État, à la honte rebelle, Fondateur de la liberté. »
Sources
- Charles Vatel. Notice historique sur la salle du Jeu-de-Paume. 1883.
- François-Alphonse Aulard. Études et leçons sur la Révolution française. 1893.