Saint Gaudérique fait tomber la pluie sur le Roussillon !

De 1015 à 2024

Image d'illustration : sécheresseImage d'illustration : sécheresse | ©Laker / Pexels

Pour commencer...

Le département des Pyrénées-Orientales subit depuis l'été 2022 l'une des sécheresses les plus intenses de ces dernières décennies. Cours d'eau entièrement asséchés, nappes phréatiques désespérément basses…

2023 est depuis 1959 l'année la plus sèche jamais enregistrée sur le département : 245 mm de pluie recensés, contre 560 mm d’ordinaire.

Au début de l'année 2024, il n'a pas plu une seule goutte : le déficit pluviométrique atteint le taux record de 80 %.

Doit-on faire appel à Gaudérique, un saint occitan réputé faiseur de pluies ? Promener ses reliques en procession (à Perpignan notamment), pour demander le retour des précipitations, se fait depuis le début du 11e siècle !

Reliques de Gaudérique, PerpignanReliques de Gaudérique, Perpignan | ©Finoskov / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

Saint Gaudérique

Car oui ! Gaudérique (Galderic en catalan) fait tomber la pluie !

Mais qui est-il ? Un saint local, puisque vénéré dans le Roussillon et en Catalogne. Ce laboureur a vécu au 9e siècle, dans l’actuelle petite commune de Saint-Gaudéric (11). On dit qu’il faisait tomber des pluies salvatrices, après de longs mois de sécheresses.

Rapport à une vieille tradition qui dit qu’un jour que Gaudérique se trouve à labourer son champ, une terrible tempête avec tonnerre et éclairs se déchaîne brutalement.

Il se met à prier. Aussitôt, la pluie s’écarte de son champ... tandis que la campagne autour se fait inonder.

  • Son corps, d'abord conservé à Toulouse, est transféré à l’abbaye Saint-Martin-du-Canigou, en 1014 ;
  • en 1783, lors de la sécularisation de l'abbaye, reliques et retable sont transférés dans la cathédrale de Perpignan, où ils se trouvent encore.
Abbaye St-Martin du CanigouAbbaye St-Martin du Canigou | ©Gayulo / Pixabay

Processions pour la pluie

Il n’en faut pas plus pour qu’entre 1015 et 1783, plus de 800 processions dédiées à saint Gaudérique se déroulent en Roussillon, lors de grandes sécheresses.

Car de tels épisodes climatiques extrêmes, la région en a connu bien avant ceux de 2023-2024 !

« 152 sécheresses avérées entre 1550 et 2005. Sur un total de 148 épisodes, 58 % se produisent après 1800 avec un maximum atteint au 20e siècle », indique Emmanuel Garnier dans son étude de 2011, Les sociétés méditerranéennes à l’épreuve du climat 1500-1850.

Cathédrale de PerpignanCathédrale de Perpignan | ©Jordi Payà Canals / Flickr / CC-BY-SA

Des reliques promenées à Perpignan

Ainsi, à chaque sécheresse, on voyait les consuls de la ville de Perpignan demander à l'abbé de Saint-Martin-de-Canigou les reliques de saint Gaudérique.

On les promenait alors en procession dans la ville, avant de porter le reliquaire sur les bords de la rivière qui coule à Perpignan, la Têt, où un autel avait été dressé.

Ces gigantesques processions pouvaient compter jusqu’à 25 000 participants, le cortège s’étirant sur près de 100 km !

Les reliques du saint faisaient également de nombreux arrêts dans toutes les localités touchées par la sécheresse.

Cathédrale de PerpignanCathédrale de Perpignan | ©Stefano Merli / Flickr / CC-BY-SA

Petite histoire des processions marquantes

La première relation d’un « voyage » des reliques de Gaudérique, depuis l’abbaye du Canigou jusqu'à Perpignan, date du 30 avril 1441. Voyages qui se multiplient les siècles suivants.

1545 : jusqu'à la mer !

Début 1545, une sécheresse épouvantable détruit les récoltes.

On fait venir le reliquaire en avril, avec un tour sur les bords de la Têt « où on le baigna dans une bassine. »

Une autre procession le porte ensuite à Sainte-Marie-la-Mer, où l'on « mouille » la relique dans les flots : le reliquaire chargé sur une barque prenait le large avec plusieurs religieux, qui le plongeaient à plusieurs reprises dans l’eau salée.

De retour sur le sable, on rinçait la statue à l’eau douce, et l’on jetait cette eau dans la mer.

4 jours plus tard, cette année-là, il pleut un peu ! Et le jour du retour des reliques au Canigou, la pluie se met franchement à tomber.

1566 : la pluie finit par revenir

En 1566, la sécheresse est terrible. Les reliques de Gaudérique font donc leur tour de Perpignan dès la mi-mars.

À la fin du mois, il pleut enfin, mais pas suffisamment. Et la sécheresse recommence, plus infernale que jamais.

Il faut attendre septembre 1566, pour voir la pluie tomber à verse : une vraie inondation, à tel point que le quartier Saint-Mathieu, à Perpignan, est sous l'eau ! Les rivières voisines débordent, du jamais vu : on a de l'eau jusqu'au 1er étage des maisons. « On aurait dit une mer », indique un témoin...

Une armée de religieux, délaissant Gaudérique, s'arme de croix et de cierges en priant carrément Dieu, pour « conjurer le temps. »

Le déluge cesse quelques jours plus tard. Pendant 6 mois... plus une goutte de pluie, un ciel limpide ! Alors, à nouveau, il faut ramener Gaudérique...

1612 : pas une goutte !

Rebelote à chaque fois au fil des siècles : alternance de pluie diluvienne pendant parfois un mois, avec inondations, puis une longue période de sécheresse intense.

Et quand Gaudérique n'attirait vraiment pas la pluie, il fallait rameuter croix, Saint-Sacrement et défilé de saints venus de toute la Provence et l'Occitanie, histoire de faire pleuvoir un bon coup.

Comme cette année de 1612, où il n'y avait pas eu goutte pendant quasiment un an : « toute la terre était perdue à cause de la grande sécheresse qu'il y avait, car depuis 3 ou 4 ans il n'avait point plu suffisamment. »

2023-2024 : un miracle ?

En 2023 et 2024, plusieurs processions ont renoué avec la tradition, à Perpignan.

Les reliques de Gaudérique, parties de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste, ont été portées jusqu'à la Têt.

Celle du 23 mars 2023 fait mouche : quelques heures après, une pluie « miraculeuse » arrose Perpignan et le département : en 3 heures, il tombe l'équivalent de 3 semaines de pluies d'un mois de mars.

Le plus important cumul, depuis septembre 2022 !

Pas suffisant pour autant, les sols trop secs n’absorbant plus rien...

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Conclusion

La situation de sécheresse qui frappe le Roussillon est à mettre en lien avec le réchauffement climatique, qui entraîne baisse des précipitations en hiver et allongement de la saison sèche jusqu’à l'automne.

Une situation qui ne devrait malheureusement pas s'arranger, avec une baisse généralisée des pluies dans tout le bassin méditerranéen, combinée à des épisodes brefs de très fortes précipitations.

Pas sûre que l’intervention seule de saint Gaudérique soit suffisante…

Sources

  • Maurice Colinon. Guide de la France religieuse et mystique. Éditions Tchou, 1969.
  • Adrien Salvan. Histoire générale de l'église de Toulouse. 1857.
  • Pierre Vidal. Histoire de la ville de Perpignan depuis les origines jusqu'au traité des Pyrénées. 1897.
  • Léa Prati. AVANT/APRÈS : la sécheresse historique dans les Pyrénées-Orientales vue du ciel. France Info, francetvinfo.fr. 08/02/2024.
  • Quelques heures après une procession contre la sécheresse, une pluie « miraculeuse » est tombée sur Perpignan. Midi Libre, midilibre.fr. 19/03/2023.
  • Jean-Louis Olive. Saint Gaudérique et la pluie en Pyrénées Catalanes : de la fertilité aux grandes inondations. Université de Perpignan, faculté de Lettres et Sciences humaines. 2002.
  • Emmanuel Garnier. Les sociétés méditerranéennes à l’épreuve du climat 1500-1850. In Sud-Ouest européen (n°32). 2011.
  • Albert Cazes. Villefranche de Conflent : guide touristique. 1965.