Nous sommes en décembre 1539. Le vent hurle dehors. Il fait un froid saisissant !
La construction de l'aile Est du château est à peine entamée : seul le donjon a été terminé.
Tant pis ! La visite de Charles Quint à Chambord sera vraiment royale.
Le roi de France invite l'empereur
Après des années à se faire la guerre, deux des souverains les plus puissants d’Europe occidentale ont conclu une paix à Nice, en juillet 1538.
L’empereur du Saint-Empire germanique et roi d’Espagne Charles Quint, d’un côté. François Ier, roi de France, de l’autre.
9 ans plus tôt, le roi de France, veuf de sa première épouse la reine Claude, s’était remarié avec la sœur de Charles, Éléonore d’Autriche.
Ce sont deux beaux-frères qui se retrouvent en territoire français !
En effet, le 7 octobre 1539, François envoie une lettre à Charles Quint, « affectueuse à souhait, lettre de garantie entière. » Il l’invite à passer en France,
« pour notre commune et fraternelle amitié, voulant bien vous assurer, sur mon honneur et en foi de prince et du meilleur frère que vous avez, que, passant par mon royaume, il vous y sera fait et porté tout l’honneur et bon traitement que faire se pourra et tel que à ma propre personne. »
L’empereur doit se rendre en Flandre, il doit de toute façon traverser le royaume français, alors... soit ! Il se décide à passer la frontière.
Charles Quint traverse la France (et il a attrapé froid)
Le 27 novembre 1539, Charles Quint franchit, aux côtés de 60 cavaliers, le fleuve côtier pyrénéen de la Bidassoa.
La longue remontée de la France vers le Val-de-Loire commence : Bayonne, Mont-de-Marsan, Bordeaux, Poitiers…
Le 12 décembre, il est à Loches, où François l’attend. Celui-ci est un colosse vêtu d’un costume magnifique, chamarré ; il se tient droit comme un i.
Charles, à côté, paraît petit, voûté, tout habillé de noir. En plus, l’empereur a attrapé froid, pendant le voyage : il s'est terriblement enrhumé, à cause de « la grande froidure », qui règne un peu partout sur le royaume !
Le roi de France se déplace en litière, l’empereur à cheval : ils se dirigent vers Amboise, Blois, puis Chambord. L’étape qui nous intéresse !
Les préparatifs de la visite impériale
Vite, des meubles !
18 décembre 1539. François Ier débarque à Chambord, aux côtés de l’empereur Charles Quint.
Tout a été minutieusement préparé. Il a fallu s’activer, pour recevoir le grand Charles !
Déjà, le château n’est pas meublé : il a fallu faire venir des chariots bourrés de mobilier, tapisseries, tableaux.
Il faut dire que François n’était pas beaucoup venu à Chambord : 42 jours tout au plus, en 32 ans de règne !
Le roi de France a chargé son connétable Anne de Montmorency de tout faire au mieux (et au plus vite), pour fignoler les derniers détails. Le commissaire Philibert Babou a fait débloquer 2000 livres, pour cela.
Car le château est encore en construction !
Cachez ces gravats...
On fait poser des vitres aux fenêtres, on enlève les échafaudages, on cache les tas de gravats derrière de lourdes tentures qui descendent jusqu’au sol…
On fait décorer les appartements de l’empereur : du velours noir du sol au plafond, pour respecter le deuil porté par Charles de son épouse Isabelle du Portugal.
Sur les caissons des plafonds du second étage, gravés dans la pierre, le F de François et de la France, allié à la couronne impériale.
Le 18 décembre 1539, tout est enfin prêt. Charles Quint peut arriver !
Des lanternons couverts d'or fin !
L'empereur arrive ! Il découvre, dans la lumière veloutée et cuivrée du crépuscule, les lanternons en plomb, qui hérissent les toits du château de Chambord.
Figurez-vous... qu'ils viennent d’être entièrement dorés à l’or fin !
En 1541, le secrétaire de l’ambassadeur portugais, Francisco de Moraes, écrit une description détaillée de Chambord et de ces lanternons dorés :
« Il y a une lanterne, qui est comme une cage toute faite d’arcs, hauts d’une lance. Et au-dessus de celle-ci il y en a encore une autre plus petite, de semblable façon, de la hauteur d’un homme. Toutes les deux sont couvertes de plomb peint en or et bleu, ainsi que tous les globes dorés et les petits drapeaux. »
Un essaim de nymphes
Avant de pénétrer à l’intérieur du château, un « essaim de nymphes et de Dianes chasseresses attendait à l’une des portes du parc, et marcha devant lui, jetant des fleurs sur son passage, chantant des hymnes. »
À l’intérieur du bâtiment, Charles Quint découvre un décor éblouissant. Il y a des torches aux murs, de la musique résonne sous les voûtes, un grand festin les attend.
François fait visiter les lieux à Charles : il lui montre même comment fonctionnent les latrines !
Pour conclure...
Charles Quint repart de Chambord... des étoiles plein les yeux.
Il aurait dit que le château « est un abrégé de ce que peut effectuer l'industrie humaine »…
Claude Chapuis, valet de chambre du roi, écrit ces quelques vers, sur le séjour de l’empereur à Chambord :
« Et de Chambord le château magnifique Qui des ouvriers a vaincu la pratique Et l’industrie, et qui est de nature Œuvre jugé plus que d’architecture Pour l’empereur en ses salles superbes, Brûle senteurs et répand fleurs et herbes. »
En tous cas, la paix conclue en 1538 entre les deux grands aura été de courte durée… la guerre reprend le 12 juillet 1542 !
Sources
- Xavier Patier. Le roman de Chambord. Éditions du Rocher, 2019.
- Jean Des Cars. La véritable histoire des châteaux de la Loire. Plon, 2009.
- Jean-Pierre Soisson. Charles Quint. Grasset, 2000.
- Louis de La Saussaye. Le château de Chambord. 1875.
- Gustave Eyriès, Paul Perret. Les châteaux historiques de la France (tome 2). 1879.
- Alexandre Namèche. L'empereur Charles-Quint et son règne. 1889.
- Domaine national de Chambord. Château de Chambord : couvertures, étude historique et documentaire. Rapport, septembre 2017.