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Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique : le canular de Lolo, la superstar du Lapin Agile

Quand : 1910

Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique (J.-R. Boronali) | Wikimedia Commons / Public domain
Salle de spectacles Animaux Le Lapin Agile

Vous la trouvez comment, cette peinture, au dessus ? Magnifique, sublime, super moche ? Les mots vous manquent ?

Les critiques de ce début du XXe s aussi. On est en 1910. Le plus grand canular de l’histoire de l’art va avoir lieu au Lapin Agile !

Le mystérieux Boronali et l'excessivisme

1910. Un mystérieux Manifeste de l’excessivisme paraît dans Paris :

« L’excès en tout est un défaut, a dit un âne. Au contraire, nous proclamons que l’excès en tout est une force. Ravageons les musées absurdes ! Piétinons les routines infâmes ! »

Un étrange papelard signé... Joachim-Raphaël Boronali.

Le Dictionnaire des peintres mentionne à l’époque : « Boronali, peintre né à Gênes au XIXe s, exposa aux Indépendants en 1910 »...

Installé au n° 53 de la rue des Martyrs à Montmartre, dit le catalogue de l’exposition, on ne sait rien de ce peintre italien. Sauf qu’il a pondu un chef-d’œuvre abstrait.

Le titre ? « Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique ».

La toile se retrouve aussitôt exposée au Salon des Indépendants de Paris. Et les critiques s’y mettent immédiatement. La peinture fait l’unanimité !

C’est du génie à l’état pur, même si le type est un parfait inconnu. C’est un peu maladroit, moui, lâchent certains. Mais trèèès prometteur, braillent d’autres !

Mais minute... il y a anguille sous roche ! Ou plutôt âne sous cabaret (vous allez comprendre pourquoi).

Vous voulez la vérité sur le chef-d’œuvre ? La voilà !

Un quoi ?! Un âne ?

Quelques jours après l’exposition de la toile au Salon, le quotidien Le Matin reçoit la visite du journaliste Roland Dorgelès.

Constat d’huissier à la main, celui-ci claironne que Boronali n’existe pas. Enfin, si : c’est un âne. Lolo, l’âne gris du patron du cabaret le Lapin Agile, le père Frédé.

Roland déteste la peinture moderne. Il en a ras le bol des critiques d’art snobs qui pètent plus haut que leur truc, et décide de les humilier.

Le Lapin Agile

Le Lapin Agile | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Lolo pris d'une folie créatrice... contre des carottes

Dans la petite cour du Lapin Agile, Roland Dorgelès monte un gros canular.

Faire passer la peinture d'un âne pour un chef-d'oeuvre abstrait auprès de ces critiques d'art prétentieux... les laisser s'extasier... et révéler le pot aux roses : derrière Joachim-Raphaël Boronali se cache Lolo l'âne.

Sous contrôle d’huissier, photographe à l’appui pour immortaliser la scène, la brave bête se met à barbouiller une toile, un pinceau attaché à la queue.

Contre des morceaux de sucre et de pain, hein...

Le Mercure de France du 1er mai 1931 dit que Lolo bouffe tout ce qu’il trouve : un jour, il avale un paquet de tabac et deux foulards en soie posés sur un des divans du cabaret...

Dorgelès jubile : alors, vous voyez bien, qu’un âne ne fait pas tache parmi tous ces tableaux moches et prétentieux ! On imagine la tronche des critiques...

Le tout Paname se presse pour voir le tableau de l’âne, du coup, et rigole !

De Boronali à Aliboron

Comment on passe de Lolo à Boronali ?

Boronali, c’est l’anagramme d’Aliboron, l’âne d’une des fables de La Fontaine : le quadrupède qui meurt de faim et de soif, n’ayant pas pu choisir par quoi commencer, entre le foin et l’eau !

Adjugée... vendue !

La toile, vendue 400 francs, se trouve aujourd’hui à l’espace culturel de Milly-la-Forêt (91).

A l’époque, Dorgelès donne la somme à l’Orphelinat des Arts, maison fondée en 1880 qui accueille les enfants orphelins d’artistes.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !