Diable et chimères de pierre : la fontaine Saint-Michel de Paris en 5 anecdotes

De 1200 à 1860

DétailDétail | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

1 - Une porte médiévale et une première fontaine, déjà

A l’emplacement de la fontaine actuelle s’élevait la porte Gibart, construite en 1200 : elle faisait partie de l’enceinte de Philippe Auguste.

Elle prend le nom de porte Saint-Michel en 1394, époque de sa restauration.

On la démolit en 1684, pour faire place en 1687 à une première fontaine, rasée à son tour lors du percement du boulevard Saint-Michel, et remplacée par la fontaine actuelle, dès 1858, conçue par le sculpteur Davioud !

2 - Une fontaine dédiée à la Paix et à Napoléon, à la base

A la base, la fontaine qui a précédé l'actuelle doit glorifier le Second Empire, en rappelant le Premier Empire et Napoléon Ier.

La « fontaine de la Paix » (c’est son nom) est ornée en son centre d’une statue de l’empereur, inspirée du célèbre portrait, par Gérard.

On y voyait l’inscription « L’Empire, c’est la Paix », flanquée de 8 allégories telles que la Sagesse, l’Abondance, l’Agriculture.

La presse de l’époque assure que, comme la colonne de la place Vendôme, le bronze des statues proviendra des canons pris en Crimée…

En juin 1858, les travaux de fondations commencent, mais le projet de la statue principale a changé, entre-temps : au Napoléon Ier, on préfère un saint Michel terrassant le dragon, inspiré de Raphaël !

La fontaine, détailLa fontaine, détail | ©Anecdotrip.com / CC-BY-NC-SA

3 - Une fontaine très critiquée !

La fontaine est inaugurée le jour de la naissance de Napoléon Ier, le 15 août 1860.

Les critiques sont unanimes, mordantes… négatives pour la majorité !

« Dans ce monument exécrable, On ne voit ni talent ni goût, Le Diable ne vaut rien du tout, Saint Michel ne vaut pas le Diable », dit un quatrain moqueur repris dans tout Paris.

M. Joanne, dans son guide Paris-Illustré, écrit :

« Sa situation, le sujet, les bigarrures choquantes à l’œil, le manque de relief, la maigreur ridicule, ont soulevé de nombreuses et justes critiques. »

Le Temps du 16 mai 1893 ose même (et c’est drôle) se moquer du groupe principal, le saint Michel et son dragon :

« Un monsieur, couché sur le ventre, cherche à découvrir l’origine d’une fuite d’eau qui vient de se déclarer au-dessous de lui, quand un étranger déguisé en ange de mélodrame profite de sa position pour venir lui monter sur le dos en jouant du violon sur le bras avec un sabre. Le monsieur lève la tête et le regarde d’un air étonné. »

Esquisse de la décoration pour la fontaine, F. Duret, 1855Esquisse de la décoration pour la fontaine, F. Duret, 1855 | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

4 - Des modifications bienvenues !

A la base, les deux chimères fantasmagoriques ornant la fontaine étaient domptées par de petits anges.

Ces modèles déchaînent les critiques, le jour de l’inauguration de la fontaine en août 1860 !

Ils sont jugés ridicules, car trop petits et trop frêles :

« Ce ne sont ni des enfants, ce ne sont pas même des petits hommes. Cette partie du monument ne pourrait que gagner à leur suppression. »

Heureusement, la fontaine n’est pas encore achevée, bien qu’on ait procédé à son inauguration.

Ces anges ne sont donc que des modèles en « plâtre bronzé », que le gel de l’hiver finit par casser et faire tomber en fragments.

Il ne restait plus au sculpteur Davioud qu'à les supprimer de la fontaine, en 1861, quand sont fondues les sculptures définitives des dragons !

Bas-relief de C. VignonBas-relief de C. Vignon | ©Coyau / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

5 - Des décors sculptés réalisés par des pointures

Les différents sculpteurs qui ont réalisé les décors de la fontaine Saint-Michel sont bien connus, à Paris !

Francisque Duret

On doit le saint Michel terrassant le dragon à Francisque Duret.

Ce sculpteur réalise un des cavaliers qui ornent le Cirque d’Hiver, ou encore l’allégorie de la Justice consulaire, devant le palais de la Bourse !

Henri Jacquemart

Henri Alfred Jacquemart réalise le célèbre Rhinocéros qui trône, imposant, devant l’entrée du musée d’Orsay, ou encore les sphinx de la fontaine du Palmier, place du Châtelet.

Claude Vignon

N’oublions pas Claude Vignon, pseudonyme de Marie Cadiot, sculptrice élève du grand James Pradier : on lui doit les bas-reliefs ornementaux de la fontaine.

Dommage, on a aujourd’hui oublié le nom de cette critique d’art, romancière, sculptrice et féministe (1828-1859) !

Sources

  • Grégoire Alessandri. La place Saint-Michel : une composition monumentale hiérarchisée du Paris haussmannien. In Livraisons de l'histoire de l'architecture. 2012.
  • Charles Nodier. Paris historique (tome 1). 1838.
  • Chroniques des Beaux-Arts : la fontaine Saint-Michel. In Revue artistique et littéraire (tome 1). 1860.
  • Gourdon de Genouillac. Paris à travers les siècles (tome 5). 1884.
  • Laurent Baridon. Sculpter l'indicible : crises de l'allégorie autour de 1848. In Romantisme (n°152). 2011.