L'exil bourguignon de Roger de Rabutin au château de Bussy

De 1666 à 1683

Roger de Bussy-RabutinRoger de Bussy-Rabutin | ©Rijksmuseum / CC0

Ah là là, Roger de Bussy-Rabutin... Comment vous dire ?...

Lieutenant-général des armées du roi Louis XIV, mais surtout super libertin et écrivain satirique. Bien vitriolées, ses satires lui valent moult exils, ici, dans son château de Rabutin !

Rabutin rabutine !

Plus médisant et bêcheur que lui, vous ne trouverez pas ! On a inventé le verbe « rabutiner » d’après son nom, pour dire qu’on se moque violemment de quelqu'un.

Sa cousine Mme de Sévigné dit :

« Savez-vous ce que c’est que rabutiner ? C’est, pour un Rabutin, avoir de l’esprit comme d’autres ont des bosses. »

Et à la cour, on n’aime pas ça, le rabutinage. Ça vaudra à Roger de nombreux exils…

Château de Bussy-RabutinChâteau de Bussy-Rabutin | ©Paul Hermans / CC-BY-SA

Premier scandale, premier exil : l'orgie de Roissy

La cause du premier exil de Roger ? Un scandale ! Une affaire qui fait un boucan énorme. A tel point, qu’on l’appelle « la débauche de Roissy ».

L’affaire arrive même jusqu’aux esgourdes de la régente Anne d’Autriche !

Ça se passe en 1659, pendant la semaine sainte. Roger se fait inviter par le duc de Vivonne, premier gentilhomme de la chambre du roi, dans son château de Roissy.

Avec lui, quelques courtisans, dont le neveu du cardinal Mazarin et un certain abbé Camus, aumônier du roi.

Prêts pour une orgie monstrueuse ! Prêt à boire et à bâfrer pendant plusieurs jours, même de la viande, alors que c’est interdit !

Ils ont même baptisé un cochon de lait... De quoi faire grincer des dents les catholiques les plus prudes.

Qui bien sûr s’emparent de l’histoire et disent des âneries monstrueuses : qu’on aurait tué un homme pour lui boulotter la cuisse, par exemple…

Château de Bussy-RabutinChâteau de Bussy-Rabutin | ©Opturator / CC-BY-SA

Deuxième scandale : Histoire amoureuse des Gaules

On l'a exagérée, l’affaire de Roissy, bien sûr, pour que Rabutin dégage au plus vite de la Cour.

Et ça marche. Il a dépassé les bornes. Il va goûter à l’exil dans son château bourguignon de Bussy.

Et là, début du 2e scandale...

C’est dans ce château qu’il écrit sa célèbre Histoire amoureuse des Gaules, bon gros pamphlet racontant les frasques du gratin français de la cour du roi.

Au départ, il l’écrit rien que pour sa maîtresse malade, Mme de Montglat. Pour la distraire pendant sa convalescence.

Sauf qu’une « amie » de Roger pique le manuscrit, l’imprime, et diffuse les copies de ce qui aurait dû rester bien planqué chez Roger.

Ah, ben, le voilà bien ! Ah moins que ?...

Figurez-vous que les histoires de Gaule de Roger font bien rire Louis XIV... ouf, la prison, ce sera pour une autre fois !

Chambre de Roger de RabutinChambre de Roger de Rabutin | ©Paul Hermans / CC-BY-SA

Deuxième exil : La France galante

Mais soudain... la parution de La France galante met le feu aux poudres.

Un bouquin anonyme qui met en scène les histoires de fesses de Louis XIV et ses maîtresses...

Aaaah, je vous vois venir... mais Roger n’y est pour rien, cette fois !

C’est le prince de Condé, vexé comme un pou par ce que racontait Roger sur lui dans sa Gaule amoureuse, qui se venge.

Mais tout accuse Roger. Qui se défend, mais rien n’y fait. Hop, à la Bastille pendant 13 mois !

Après, direction le château de Bussy, pendant 17 ans. Où il aménage ledit château, mais ça, c’est une autre histoire...

Et le roi autorisera le vieux Roger à revenir à Versailles en 1683. Mais il ne rencontrera que les moqueries des courtisans.

Lui préfère définitivement sa quiétude bourguignonne.

Cabinet de la Tour doréeCabinet de la Tour dorée | ©Tangopaso / Public domain

Enlèvement !

Veuf en 1646, Roger tente d’enlever Mme de Miramion, une riche veuve de 20 ans. Il croit qu’elle l’aime ! L’histoire va faire le tour de l’Europe.

Lui n’a pas un rond en poche. Il apprend que la veuve détient 400 000 livres de rentes.

Il l’emmène dans le château de Launay près de Sens. Mais la dame ne semble pas du tout ravie. Pire, elle hurle, elle braille, elle se défend !

Pendant deux ans, la famille de la dame poursuit Roger en justice. Il s’en tire en déboursant 4000 livres et Mme de Miramion lui pardonne tout puis se retire dans un couvent.

Mme de MiramionMme de Miramion | ©Rijksmuseum / CC0

Un beau CV !

Lieutenant général des armées du roi, Roger de Rabutin est de toutes les batailles de la guerre de Trente Ans, contre les Habsbourg, suivant les traces de son père, lieutenant de Louis XIII.

Il a deux ambitions, dans la vie : être « un honnête homme » et « parvenir aux grands honneurs de la guerre ».

Mais son caractère fougueux, sa grande gueule et ses propos médisants lui attirent les foudres des plus grands de l’armée : il ne sera jamais fait maréchal de France, et toc…

Salle des devises, détailSalle des devises, détail | Salle des devises | ©Daniel VILLAFRUELA / CC-BY-SA

L'exil au château de Bussy

Roger passe les dernières 27 années de sa vie en exil au château de Bussy. Il se dit « le gentilhomme le mieux logé de France » !

Il écrit : « Bussy est bâti magnifiquement et les dedans sont d'une beauté singulière qu'on ne voit point ailleurs. »

Les intérieurs ? Incroyables !

Se mêlent une galerie des rois de France et des ducs de Bourgogne, une antichambre des Grands Hommes de Guerre (65 portraits), le cabinet de la Tour dorée et ses 25 tableaux des dames les plus célèbres de la cour du roi Soleil : Roger y rajoute un commentaire assassin en dessous de chacun !

Des devises

Il crée dans son château la plus incroyable décoration intérieure, bourrée de toute son amertume, ses regrets et sa vanité...

A l'image de la salle des Devises, dont les boiseries sont ornées de petites phrases évoquant la vie de Roger (disgrâce, gloires militaires, aventures amoureuses).

Il est tour à tour le phénix, le brasier, le drapeau déchiré, le châtaignier sous son écorce rugueuse, l'escargot renfermé sur lui, l'oignon qu'on ne mord pas sans pleurer...

La devise figurant un soleil, Plus de vertus que de lumière, s'oppose à celle du cadran solaire Si me mira me miran. Roger avoue son admiration pour son roi Louis XIV... puis le défie !

Salle des devises, détailSalle des devises, détail | ©Daniel VILLAFRUELA / CC-BY-SA

Il représente aussi beaucoup une femme : Mme de Montglat, sa maîtresse, qui le trompe après 12 ans de complicité.

Elle apparaît sous la forme d'une hirondelle chassée par la tempête ou d'une sirène.

Sur la photo ci-dessus, vous verrez un autre portrait placé dans un des plateaux d'une balance, l'autre plateau étant vide, avec la devise Plus légère que le vent...

C'est un Roger encore bien amer qu'on découvre là !

Salle des devises, détailSalle des devises, détail | ©Tangopaso / Public domain

La petite vie de Roger à Bussy

Mais que fait Roger de son exil à Bussy ?

Il aménage son château, on l'a vu ! Plus moult autres occupations.

Voilà ce qu'il écrit dans une lettre datée de décembre 1670 :

« Vous saurez, madame, que je me lève assez matin ; que j'écris aussitôt que je suis habillé, soit pour mes affaires domestiques, soit pour mes affaires de la cour et de Paris, soit pour autre chose... Après cela je me promène, je vais d'atelier en atelier car j'ai des peintres et des maçons, des menuisiers et des manœuvres ; et puis je dîne à midi. Je mange fort brusquement.

« Après dîner je tiens cercle avec ma famille, avec qui je me divertis mieux qu'en mille visites de Paris. Quelque temps après je retourne à mes ouvriers. La journée se passe ainsi à tracasser. Ensuite je soupe comme j'ai dîné, je joue et je me retire à dix heures. »

Sources

  • Patrice Boussel. Guide de la Bourgogne et du Lyonnais mystérieux. Éditions Tchou, 1980.
  • Comte de Sarcus. Notice historique et descriptive sur le château de Bussy-Rabutin. 1854.
  • Charles Walckenaer. Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal. 1842.
  • Histoire amoureuse des Gaules : édition nouvelle avec des notes par Auguste Poitevin. 1857.