Choc au château de Tourlaville : les Ravalet, les amants maudits

De 1570 à 1654

Le châteauLe château | ©FRAIN50 / CC-BY-SA

Les Ravalet de Tourlaville

L’inceste puni

Vous connaissez peut-être ce château Renaissance, à quelques kilomètres de Cherbourg, à cause de sa sombre histoire de frère et sœur incestueux : Julien et Marguerite de Ravalet.


L'affaire a fait grand bruit, à l'époque ! On pouvait alors lire partout :

« Année 1603 furent décapités en la place de Grève à Paris, un beau gentilhomme normand, riche (ainsi qu'on disait) de 10 000 livres de rente, nommé Tourrelaville avec sa sœur fort belle, âgée de 20 ans ou environ, et ce pour l'inceste qu'ils avaient commis ensemble. Desquels le pauvre père s'étant jeté à genoux aux pieds du roi, le jour de devant, pour demander leur grâce, Sa Majesté la lui avait refusée, ayant fait réponse que si la femme n'eût point été mariée, il lui eût volontiers donné sa grâce ; mais que l'étant il ne pouvait... »

Des Bretons en Normandie

Tout commence avec Jean II de Ravalet, seigneur de Tourlaville et abbé d'Hambye. Il entame la construction de ce château vers 1570, sur les restes d'une vieille forteresse fondée au 9e ou 10e siècle.


Les Ravalet font partie d'une vieille famille bretonne venue s'installer en Basse-Normandie, en 1480. Le premier membre s'appelle Jean de Ravalet, un écuyer d'une vingtaine d'années qui a bravement servi Jeanne d'Arc : il vient de quitter Fougères pour s'installer à Cherbourg.

Le château des amants terribles

Lorsque les travaux s'achèvent, en 1575, Jean II offre le château à son neveu Jean III, le père de nos amants terribles. C'est un beau château en schiste bleu, avec ses jolies fenêtres à meneaux et ses grandes tourelles (dont la tour des Quatre-Vents).


On y compte une vingtaine de pièces, dont deux vastes salles au rez-de-chaussée et au premier. Et vous savez quoi ? Quatre de ces pièces se visitent parfois dans l'année : renseignez-vous bien...

  • À l'étage de la tour des Quatre-Vents, on trouve deux salons flanqués de plafonds à compartiments peints.
  • Dans la tour ronde, la chambre bleue située au premier étage est celle de Marguerite : un plafond décoré de médaillons aux armes des Ravalet, un petit lit, un miroir...

Bref : Jean III et sa femme, complètement anéantis, font tout pour oublier le drame. Ils changent leur nom de Ravalet en Tourlaville, font des pèlerinages, des processions, donnent sans compter aux plus pauvres qu'eux...

Tourmente et tragédies

Un portrait de la belle

Après leurs morts, Charles de Franquetot, petit-neveu de la famille de Ravalet, rachète le domaine en 1654.


On lui doit probablement le célèbre portrait de Marguerite (attribué en partie à Mignard), toujours dans le salon du premier étage. Le peintre l'a représentée dans la campagne normande, avec en fond le château de Tourlaville. À ses pieds, son épagneul : symbole ultime de fidélité... Elle se tient au milieu d'amours aux yeux bandés, qu'elle repousse pour ne sourire qu'à un seul d'entre eux. De sa bouche s'envole cette phrase : « Un me suffit. » Sous un des amours, on lit : « Ce qui me donne la vie me cause la mort »...


Franquetot réaménage et embellit les appartements de sorte qu'il peut venir y vivre toute l'année.


On trouve dans certaines pièces de petites maximes peintes sur les murs, comme : « Les deux n'en font qu'un », « Ainsi puissé-je mourir ! » ou « Même en fuyant on est pris », « Plusieurs sont atteints de ce feu Mais ne s'en guérit que fort peu. »


De petites phrases relatives à l'histoire de Julien et Marguerite, ajoutées après leurs morts ? Eh, oui !

Malédiction sanglante

Ce qui est sûr, c'est que cette histoire a terriblement marqué la famille. Une histoire déjà entachée par les sombres frasques de ses membres, depuis des siècles déjà, dit-on ! Assassinats, incendie, fratricide, viols...


Bon, je pense tout de même que ce genre de comportements était monnaie courante au Moyen Âge, et se retrouve chez de nombreux seigneurs... Mais à Tourlaville, depuis la tragédie de Julien et sa sœur, on reste traumatisé ! Tenez, on dit Franquetot grand amateur de femmes !


On raconte aussi qu'un soir de mars 1661, alors qu'il rêvasse dans son fauteuil, les yeux rivés sur le portrait de Marguerite, des pas feutrés se glissent derrière son dos... et des coups de poignards le laissent blessé à mort ! Assassiné par ses domestiques... La malédiction qui continue ?

Sources

  • Augustin Le Maresquier. Le château de Tourlaville : histoire et légende des Ravalet. 1969.
  • Notice Variétés historiques : des anciens seigneurs de Tourlaville. Annuaire du département de la Manche (année 1). 1829.
  • L. de Pontaumont. Recherches paléographiques sur l'abbé de Hambye, la famille Ravalet de Tourlaville. 1885.