Portrait du plus célèbre seigneur de Luynes, qui a donné son nom au château !
1578 : la naissance d'un futur favori
Le plus célèbre de cette famille originaire de Toscane, les d’Alberti, installée au 15e siècle dans le Comtat venaissin (actuel Vaucluse), s’appelle Charles d’Albert de Luynes.
Le favori du roi, qui nous intéresse ici !
Son père, Honoré d’Albert de Luynes, se distingue sur les champs de batailles.
Lorsqu’Henri IV écrit à celui qui occupe la charge de gouverneur de la Provence et du Languedoc, il signe ses lettres « votre plus affectionné ami. » Mazette !
Une amitié bien pratique, qui permet à son fils Charles de se faire présenter à la cour, lors du mariage d’Henri IV et de Marie de Médicis : il est créé page de la chambre du roi, avant de passer au service du dauphin.
Futur Louis XIII, oui, oui !
1611 : au service du roi
La passion des oiseaux
Le 14 mai 1610, Henri IV est assassiné en plein Paris. Un vrai traumatisme, pour son fils, le jeune Louis, 9 ans !
Il adorait son père. Il se retrouve seul avec une mère-régente autoritaire, Marie de Médicis, qui ne l’aime pas.
Laissé à l’écart du pouvoir, il rencontre Luynes en 1611 : celui-ci a 33 ans, Louis 10.
Cet homme devient son grand frère, son père d’adoption, une oreille attentive, un ami au milieu d'une terrible solitude.
Ils ont une passion en commun : les oiseaux et la chasse. Et Charles excelle dans le dressage des oiseaux !
Que voulez-vous : il dresse des pies-grièches comme personne, et sonne du cor « sans baver dedans » !
Louis, subjugué par ses talents, crée pour lui la charge de maître de la Volerie du cabinet.
Quelles relations entre Luynes et Louis XIII ?
Des ambassadeurs italiens évoquent la relation particulièrement proche des deux hommes.
Luynes est « les délices et l’âme du roi », les Italiens parlent de « l’amour extraordinaire », « l’affection extrême » que Louis lui porte.
Certains lui reprochent cette « passion de jeunesse » : même Marie de Médicis évoque « ce démon qui obsède le roi, le rend sourd, aveugle et muet », avant d’ajouter que « si le roi a du goût pour lui, qu’il le garde ! »
Des pamphlets comparent Luynes à « une idole », le « mignon du roi », parlant de leur relation comme « d’amours », « d’hyménée », « de flambeaux de Cupidon. »
Y a-t-il eu plus qu'une très forte amitié, entre les deux hommes ? Le débat fait rage, chez les historiens !
Rien ne permet d’affirmer qu’il y ait eu relations intimes entre le roi et son favori. Alors, oui : Louis va très souvent dîner « en tête à tête » chez Luynes, y passe des soirées ou après-midi entières.
Héroard, dans son célèbre Journal, note « une intimité croissante » entre les deux hommes. Il utilise la phrase « Va chez M. de Luynes », en parlant du roi, plusieurs fois par jour, pendant des années, jusqu’à la mort du connétable.
Un jour, de retour de bataille au Louvre, Louis a à peine retrouvé la reine-mère et Anne d’Autriche, qu’il les quitte pour aller déjeuner avec Luynes !
Mais tout ceci constitue-t-il une preuve ? À vous de voir. Pour ma part, je dirai… non !
1617 : la mort de Concini
Louis XIII a donc 9 ans, quand son père décède.
Marie de Médicis, 37 ans, devient régente et impose son ambitieux favori, Concino Concini, aux charges les plus hautes du royaume.
Elle le couvre, lui et son épouse Léonora, d’argent et de privilèges, comme le titre de marquis d'Ancre.
Marie laisse son fils, pourtant majeur en 1614, à l’écart du pouvoir et des décisions.
Mais en 1617, la décision de Louis est prise, soutenu par Luynes et sa clique : il faut éliminer Concini et s’émanciper de sa mère.
Le 25 avril 1617, sur le pont-dormant qui donne accès au palais du Louvre, Concini est abattu. Louis laisse éclater sa joie : « Grand merci ! Merci ! À cette heure, je suis roi ! »
Concini mort, c’est Luynes qui récupère une partie de son immense fortune, ainsi que ses charges et privilèges.
Ainsi, le marquisat picard d’Ancre est rebaptisé Albert (du nom de famille de Charles) : nom que la cité porte encore aujourd’hui !
1617-1621 : Pluie de privilèges !
Maintenant que Louis XIII commence enfin son règne personnel, il couvre Luynes de privilèges.
Celui-ci devient capitaine de la Bastille en mai 1617, puis lieutenant-général de Normandie. En 1619, il est fait duc.
Comble des honneurs, il obtient la charge la plus élevée du royaume de France, en 1621 : celle de connétable.
Il reçoit, lors d’une cérémonie en grande pompe, une épée sertie de diamants, d’une valeur inestimable !
Épée remise « dans une main qui jusqu’à ce comble avait si peu manié les armes », écrira un siècle plus tard Saint-Simon…
1619 : le château de Luynes
En 1619, Charles d’Albert achète le château de Maillé (actuel château de Luynes), au cours d’un périple dans le val de Loire, avec le roi.
Pourquoi ce château précisément ? Louis XIII s’est dit enchanté par la beauté de la vallée ligérienne : Luynes pense donc que le roi semble prêt à sauter le pas, abandonner Paris et l’Île-de-France pour venir s’installer dans l’un de ces châteaux...
Raté ! Louis XIII viendra peu, au château de Luynes. Qui, avant 1619, ne s’appelle pas encore Luynes, mais Maillé.
Lorsque cette terre est érigée en duché-pairie pour le favori du roi, elle prend le nom de Luynes. Qui vient du nom de la petite cité provençale qu’une certaine Jeanne de Ségur apporte en dot à son mari Thomas d‘Alberti, au 15e siècle.
L'aïeul du favori du roi, si vous préférez, qui a francisé son nom en d’Albert, et y a ajouté Luynes !
1621 : le difficile siège de Montauban
Devenu connétable, Luynes le piètre guerrier est envoyé par le roi mater un soulèvement protestant à Montauban. Mais quand on est plus versé dans le dressage des oiseaux et à d'autres menus plaisirs... la guerre, ça pique !
Luynes s'en rend compte en échouant devant les portes de Montauban, qu'il assiège depuis des mois. Pire, il a tenté de négocier séparément avec le duc protestant de Rohan.
Fou de rage, le roi l’accuse d’avoir négocié avec ce dernier à son insu.
Henri Martin, dans son Histoire de France, résume plutôt bien la situation :
« Le roi leva le siège de Montauban le 12 novembre 1621. Cette fâcheuse issue d'une campagne si heureusement entamée causa un déchaînement général contre Luynes. Le parti ultra catholique surtout était furieux, et accusait le connétable non pas seulement d’impéritie, mais de trahison. Le roi paraissait fort las de son favori ; il s’en plaignait à qui voulait l’entendre. »
1621 : Luynes fatigue la cour... et le roi
Charles devient impopulaire. Il agace. Pour le peuple, il est devenu le nouveau Concini, favori comblé de tous les honneurs, lui et les siens.
Une famille, des frères, qui, dit Louis XIII, « arrivaient d'Avignon à la cour par batelées, sans qu'il y en eut un seul habillé de soie » !
Hé oui, le roi lui-même en a assez. Assez de son favori qui s'est pris la grosse tête, gonflé comme un coq par tous ses titres.
Les pamphlets déversent leur bile. Luynes y est décrit comme ayant 6 défauts : incapable et incompétent, très ambitieux, avare, égoïste, n’ayant ni parole, ni courage...
Ceux qui l’ont approché le décrivent comme suffisant, superbement superficiel et totalement incompétent, à l'instar du nonce Corsini, en 1621.
Les ambassadeurs italiens et anglais sont frappés par son peu d’intelligence, « son esprit fort médiocre. »
La syntaxe même de ses phrases écrites détonne ! Tenez : à Richelieu, il écrit « que le diable emporte ceux ou celui qui ne fera ses efforts à cette affaire » !
Enfin, il fait mille choses sans les finir. « Il a tant d’aveuglement, d’inconstance et de désordre en tout, que l’on ne sait qu’espérer » écrit le père Joseph à Richelieu.
1621 : la mort d'un favori en disgrâce
Louis XIII songe finalement à disgracier ce Luynes à l’ambition sans frein. « Il veut faire le roi, mais je saurai l’en empêcher », soupire Louis.
Pire, celui-ci lâche un jour qu’il espère « lui faire rendre gorge, avant six mois, de toutes choses qu’il avait prises. »
Le roi n'aura pas besoin de se salir les mains : son favori meurt tout seul comme un grand de « fièvre pourprée », le 17 mai 1621, un mois après le siège de Montauban !
Le lendemain, Louis XIII disait à l’ambassadeur vénitien Pesaro de son cher ex-favori : « Je l’ai aimé parce qu’il m’aimait. »
Sources
- Louis Batiffol. Le roi Louis XIII à vingt ans. 1910.
- Pierre Larousse. Grand dictionnaire universel du 19e siècle (vol 10). 1866.
- Juliette Benzoni. Le roman des châteaux de France. Perrin, 2012.
- Michel Lefort. La Galigaï. Librinova, 2022.
- Nouvelle biographie universelle (tome 32). 1860.
- Augustin Challamel. La France et les Français à travers les siècles (tome 2). 1883.