Une ruine, un repaire de bandits
Il ne reste que des ruines de ce château Renaissance incendié deux fois, au cours de sa longue histoire, la dernière fois à la toute fin du 18e siècle.
Le donjon médiéval évoque le sombre souvenir de Guilhem de Gramont, un ancêtre de la prestigieuse famille dont c’est le fief, qui en avait fait un repaire de bandits.
Le chroniqueur Mathieu Paris rapporte que « pèlerins, marchands, gens du pays eux-mêmes ne pouvaient passer de ce côté sans être dépouillés et même égorgés par ce brigand de nuit »...
Mais pire que les bandits, il y a les seigneurs saigneurs… je vais maintenant vous parler de cette sombre histoire qui ensanglante les murs du château en Bidache, au 17e siècle.
La reconstruction du château actuel, on la doit à la veuve de Philibert de Gramont, Diane d’Audoins. Aaah, Montaigne l’appelle la Grande Corisande… cela ne vous dit rien ?
C’est la Corisande d’Henri IV, l'une de ses nombreuses maîtresses !
Je vous en parle, car c’est du fils de Corisande dont il est question ici : Antoine de Gramont.
L'affaire Gramont
Ciel, mon mari !
Un jour de mars 1610, le comte Antoine de Gramont rentre à l’improviste de la chasse, collant de sueur, l’échine fourbue.
Il surprend son épouse, Louise de Roquelaure, avec son écuyer, Marsilien. Dans les bras l’un de l’autre, et plus si affinités, si vous voyez ce que je veux dire !
Pas besoin de lui faire un dessin, à Antoine, pour comprendre ce qu’il se tramait.
Fou de rage, il embroche son rival d’un seul coup d’épée bien placé : il l’envoie, selon les mots de François de Malherbe, « jouir en l’autre monde » !
Louise, pendant ce temps, avait réussi à prendre ses jambes à son cou et à se réfugier dans un couvent.
Mais elle ne va pas bien loin. Son mari la retrouve, l’extirpe de force dudit couvent, sous les yeux des sœurs muettes, et l’envoie croupir au fond d’une cellule du château de Bidache.
Gramont bouillonne. Seul à ruminer sa haine, il commence à réfléchir sur le sort de Louise.
Et de Marsilien, on va le voir. Car Gramont vient de se mettre en tête de faire un procès aux deux coupables...
Il faut les condamner
Antoine assigne sa femme devant le parlement de Bordeaux.
Les conseillers du roi ordonnent à Gramont « de cacher plutôt ces affaires et offenses domestiques que de les mettre en évidence à des personnes qui, sans ces poursuites et procédures, n'en eussent jamais ouï parler » (Mémoires authentiques de Jacques Nompar de Caumont).
Ah ah ! C’est bien mal connaître Antoine.
Voyant que cela ne bouge pas du côté de Bordeaux, Antoine se constitue son propre tribunal, en rameutant les péquins les plus hauts placés du village de Bidache.
Qui allaient être d’accord avec lui, parce que l’on a toujours intérêt à caresser un seigneur dans le sens de la moustache…
Ils rendent bientôt un verdict, le seul, l’unique, celui que le seigneur de Gramont attendait patiemment, en tous cas : la condamnation à mort de Louise.
On condamne aussi le cadavre de Marsilien... à avoir la tête tranchée. L’horreur absolue, le cadavre est déterré, puis décapité !
Vite, la reine !
Louise écrit immédiatement à sa famille pour tout leur dire, et leur demander leur soutien : elle est la fille d’Antoine de Roquelaure, le maréchal de France, ancien protégé de Jeanne d’Albret et compagnon d'armes d’Henri IV.
Des parents qui alertent la reine Marie de Médicis, qui envoie bientôt le conseiller Gourgues voir la condamnée et tenter de faire fléchir Gramont.
Gramont et Gourgues se retrouvent « sur le pont de Garrewich, situé sous le château de Bidache. »
On cause. Gramont n’a qu’un mot à dire : il est ici chez lui, il fait ce qu’il lui plaît !
Un enterrement expéditif
Tout ce que l’on sait, c’est que Gramont donne ensuite ses ordres au gouverneur du château, un dénommé Garro, et quitte Bidache pour Paris.
Désespéré, le père de Louise porte plainte contre Gramont, en vain.
Puis le 9 novembre, ce Garro annonce la mort de la comtesse et demande qu’on lui fasse des funérailles.
Ce sont des funérailles à la va-vite : Corisande, qui prend parti pour son fils, refuse de donner à sa belle-fille une place dans le caveau familial !
Un trou dans le plancher
Que s’est-il vraiment passé, au final, dans cette affaire ?
On ne le saura jamais. Tallemant des Réaux donne sa version de l’histoire :
« Le comte de Gramont était un méchant mari, au moins pour sa première femme, car, sur quelque soupçon, il la mit dans une chambre où le plancher en un endroit s’enfonçait, et on tombait dans un trou profond. Elle y tomba, se rompit une cuisse, ce dont elle mourut. »
Le chroniqueur L’Estoile, quant à lui, écrit dans son Journal que la comtesse, « qu’on tenait avoir été empoisonnée pour crime d’adultère par son mari, ayant quelque temps auparavant fait mourir de sa main et poignardé le gentilhomme qui l’entretenait, mourut en grande misère et langueur. »
Le plus fou, là-dedans, c’est que les conseillers du roi finissent par accorder le pardon du roi à Gramont.
Hé oui ! Autres temps, autres mœurs...
Conclusion de l'histoire
Antoine se remarie avec Claude de Montmorency-Bouteville, en 1618, et quitte Bidache la sanglante pour Séméac.
Quid du château ?
En 1793, devenu bien national, il est transformé en hôpital militaire, pendant une petite année.
Après quoi ne reste sur place que l’administration. Son gestionnaire en profite pour ravager et piller le château.
Ses supérieurs finissent par envoyer une commission, pour enquêter sur ce fauteur de trouble.
Pour leur échapper, le zozo met le feu à la bâtisse avant d’aller se noyer dans la Bidouze… cela se passe « pendant la nuit en mars 1796 et le château « fut consumé en six heures. »
Sources
- Abbé d'Ormancey. Illustrations de la noblesse européenne. 1842.
- Bernard Duhourcau. Guide des Pyrénées mystérieuses. Éditions Tchou, 2001.
- Histoire et généalogie de la maison de Gramont. 1874.