Bienvenue au château de Baronville, qui tout au long du 18e siècle, a été la demeure de la famille de Lattaignant.
L’occasion d’évoquer le membre le plus célèbre (et le plus haut en couleur) : l’auteur, entre autres, de J’ai du bon tabac !
Qui se cache derrière l'abbé de Lattaignant ?
Soutane et poème grivois !
Gabriel Charles, abbé de Lattaignant, est un chansonnier : l’auteur du célèbre J’ai du bon tabac dans ma tabatière !
Mais… pas que. Le pauvre a été voué à la religion depuis son plus jeune âge.
Je dis le pauvre, parce que la soutane, le missel et tout le bazar, cela ne le branche pas du tout !
Il se retrouve tout de même chanoine de Reims : c’est là qu’il commence à composer.
Des satires, des choses grivoises. Vous connaissez Le mot et la chose ?
La chose, ici, désigne... le sexe. Un euphémisme, si vous préférez !
Ce poème galant commence comme ceci :
« Madame, quel est votre mot Et sur le mot et sur la chose ? On vous a dit souvent le mot, On vous a souvent fait la chose. Ainsi, de la chose et du mot Pouvez-vous dire quelque chose. Et je gagerai que le mot Vous plaît beaucoup moins que la chose ! Pour moi, voici quel est mon mot Et sur le mot et sur la chose. J'avouerai que j'aime le mot, J'avouerai que j'aime la chose. Mais, c'est la chose avec le mot Et c'est le mot avec la chose ; Autrement, la chose et le mot À mes yeux seraient peu de chose. »
L'abbé, une sacrée curiosité rémoise
À Reims, Lattaignant devient connu comme le loup blanc.
Tenez, prenez l’anecdote suivante : deux Anglais en goguette, en visite à Reims, demandent ce qu’il y a de curieux à voir dans la ville.
On leur répond : la cathédrale et l’abbé de Lattaignant. Bon. Ils vont voir l’une et l’autre.
Ils contemplent la cathédrale, puis vient le tour de l’abbé, qui, au courant du désir des deux étrangers de le voir, vient à leur rencontre.
Les deux l’examinent à la loupe, puis l’un sort gravement : « Lui être laid, mais pas curieux »...
L’abbé et les témoins de la scène s’étouffent de rire !
Le comte l'a mauvaise
Bref, notre abbé de Lattaignant finit par rompre avec le canonicat et file à Paris, la ville de tous les plaisirs.
Ses chansons se colportent, amusent et plaisent, se chantent partout où la fête fait vibrer les âmes. Enfin, plaisent… pas à tout le monde !
Chants et chansons populaires de la France (1854) rapporte qu’une de ses satires lui attire les foudres du comte de Clermont-Tonnerre.
Celui-ci envoie des gens lui mettre une peignée (« le bâtonner », comme on dit alors). Ça lui apprendra, de se moquer de lui, na !
Mais en fait, ils donnent la correction à un autre chanoine de Reims, qui ressemble à s’y méprendre à l’abbé de Lattaignant !
Ce dernier enverra une lettre d’excuse au chanoine, et ne l’appellera plus que « son receveur » !
C'est fini, l'abbé !
L’abbé de Lattaignant vit une vie de patachon débridée dans la capitale. Tavernes, bordels, cabarets…
Il disait souvent, pour s’excuser de sa vie dissolue :
« J’allume mon génie au soleil, et je l’éteins dans la boue. »
Même à quelques heures de la mort, le 10 janvier 1779, il écrit :
« J’aurai bientôt 80 ans. Je crois qu’à cet âge il est temps De dédaigner la vie. Aussi je la perds sans regret, Et je fais gaiement mon paquet. Bonsoir la compagnie ! »
J'ai du bon tabac
Il ne l’a pas signée, cette chanson, mais on lui attribue tout de même : J’ai du bon tabac.
Vous la connaissez ? « J’ai du bon tabac dans ma tabatière, j’ai du bon tabac, tu n’en auras pas... »
À la base, c’est un certain Michel Corrette, compositeur de son état, qui signe un concerto comique, La Servante au bon tabac, en 1733.
Un des mouvements comporte la mélodie de J’ai du bon tabac.
L’abbé de Lattaignant ajoute 8 couplets à la chanson originale.
Dont une strophe (vengeresse) qui dit :
« Ce bon monsieur de Clermont-Tonnerre Qui fut mécontent d’être chansonné. Menacé d'être bâtonné, On lui dit, le coup détourné : J'ai du bon tabac dans ma tabatière, J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas. »
Sources
- Dictionnaire de la conversation et de la lecture (tome 12). 1860.
- Ruelles, salons, et cabarets, histoire anecdotique de la littérature française. 1888.