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L'exil doré de Voltaire au château de Sully-sur-Loire

Quand : juin 1716 - octobre 1716

Voltaire en 1718 (Largillière) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0
Château de la Loire Château Voltaire Château de Sully-sur-Loire

Le poème qui met le feu aux poudres

« Un nouveau Loth vous sert d’époux, Mère des Moabites : Puisse bientôt naître de vous Un peuple d’Ammonites ! »

Voilà ce qui a causé l’exil du jeune François-Marie Arouet, 22 ans, au château de Sully.

Un poème écrit en 1716 par celui qui n’est pas encore Voltaire, alors que la fille du régent Philippe d’Orléans, la duchesse de Berry, vient d’accoucher d’un bâtard.

Les ragots font de l’enfant le propre fils… du régent, né de ses prétendues relations incestueuses !

Car Loth, personnage de la Genèse, a eu des relations incestueuses avec sa fille.

Ils auront deux fils, Moab et Ben-Ammi, fondateurs des peuples Moabites et Ammonites.

Vous comprenez… le poème est trèèès insultant ! L’auteur doit payer : c’est l’exil qui l’attend !

Le régent Philippe d'Orléans (C. Duflos, 1715)

Le régent Philippe d'Orléans (C. Duflos, 1715) | ©Rijksmuseum / CC0

Le jeune Arouet et les libertins

L’auteur ? Il se trouve qu’il s’appelle donc François-Marie Arouet. Ce fils d’un notaire parisien naît en 1694.

Il entame à contrecœur des études de droit, poussé par son père.

Avant d’annoncer à ce paternel, en 1711, qu’il quitte le collège ! Il a 17 ans : il veut être « homme de lettres », et non avocat !

Les « ennuis » commencent. Son parrain, l’abbé de Châteauneuf (amant de Ninon de Lenclos), l’introduit dans les milieux libertins de la Société du Temple, à Paris.

Il y rencontre son futur hôte, le duc de Sully, au milieu d’une faune de libres penseurs, fins esprits et coquins de tous poils.

La Société du Temple se voulant philosophique et littéraire, Voltaire s’essaie à écrire des vers incisifs, mordants...

Jusqu’au drame, je veux dire… les vers contre le Régent !

Voltaire à 20 ans, en 1714 (Largillière)

Voltaire à 20 ans, en 1714 (Largillière) | ©KU Leuven / Public Domain

L'exil à Sully-sur-Loire

Aussi sec, le jeune Arouet se fait expédier à Tulle en exil, le 4 mai 1716. Son père s’active pour que l’on adoucisse la peine de son fils.

Il parvient à l’envoyer chez le 5e duc de Sully, Maximilien-Henri de Béthune, en son château de Sully-sur-Loire. À 47 ans, celui-ci est l'arrière-petit-fils du grand Sully d’Henri IV.

Oh, mais ! Arouet l'a déjà fréquenté, au château du Temple !

Saint-Simon dit de ce duc de Sully :

« Quoique gros, c’était le meilleur danseur de son temps, son visage et sa figure étaient agréables, avec beaucoup de grâce et de douceur. Toujours pauvre, toujours rangé, se soutenant de peu avec honneur, avait servi toute sa vie avec beaucoup de valeur et peu de fortune... »
Château de Sully

Château de Sully | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Un exil enchanteur !

Les premiers jours de Voltaire à Sully sont paradisiaques ! Il écrit :

« N’allez pas, s’il vous plaît, publier ce bonheur dont je vous fais confidence, car on pourrait bien me laisser ici assez de temps pour y pouvoir devenir malheureux. »

Il écrit également :

« À Sully, 1716. Je vous écris de ces rivages Qu'habitèrent plus de deux ans Les plus aimables personnages Que la France ait vus de longtemps, Ces voluptueux et ces sages Qui, rimant, chassant, disputant, Sur les bords heureux de la Loire, Passaient l'automne et le printemps Moins à philosopher qu'à boire. »

Mais aussi :

« Il serait délicieux pour moi de rester à Sully, s'il m'était permis d'en sortir. M. le duc de Sully est le plus aimable des hommes, et celui à qui j'ai le plus d'obligation. Son château est dans la plus belle situation du monde; il y a un bois magnifique dont tous les arbres sont découpés par des polissons ou des amants qui se sont amusés à écrire leurs noms sur l'écorce. »

Fêtes dans le parc

Oui, voilà toute la vérité... le jeune Arouet prend du bon temps !

« Il est bien juste qu’on m’ai donné un exil agréable, puisque j’étais absolument innocent des indignes chansons qu’on m’imputait. »

Le grand et puissant château de Sully-sur-Loire est magnifique, tout comme son parc.

Il évoque notamment

« une grande salle d’ormes éclairée d’une infinité de lampions, […] une magnifique collation servie au son des instruments, et suivie d’un bal ou parurent plus de cent masques habillés de guenillons superbes. »
Château de Sully : le parc

Château de Sully : le parc | ©Fab5669 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

L'inspiration pour La Henriade

Il peut aussi écrire tout son saoul !

C’est à Sully-sur-Loire, que le jeune Arouet ébauche les premiers vers de sa célèbre Henriade, dédiée à Henri IV, d’abord intitulée La Ligue.

Il a, sans aucun doute, été inspiré par son hôte, ancêtre de Sully, ministre d’Henri IV !

« Je chasse peu, je versifie beaucoup ; je rime tout ce que le hasard offre à mon imagination. »

Les invités défilent à Sully

Le duc de Sully invite en son château les mêmes beaux esprits qui se retrouvaient autrefois à la Société littéraire du Temple, à Paris.

Le futur Voltaire écrit :

« Il y a peut-être quelques gens qui s’imaginent que je suis exilé ; mais la vérité est que M. le Régent m’a ordonné d’aller passer quelques mois dans une campagne délicieuse, où l’automne amène beaucoup de personnes d’esprit, et, ce qui vaut mieux, des gens d’un commerce aimable, grands chasseurs pour la plupart, et qui passent ici les beaux jours à assassiner les perdrix. »
Château de Sully

Château de Sully | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

L'ennui pointe son nez !

Puis, à l’été 1716, Arouet commence « à s’ennuyer beaucoup. »

Le 15 juillet 1716, il prend la plume :

« Je vous écris du séjour du monde le plus aimable, si je n’y étais point exilé, et dans lequel il ne me manque, pour être parfaitement heureux, que la liberté d’en pouvoir sortir. »

Avant d'ajouter un autre jour :

« Il serait délicieux de rester à Sully, s’il n’y fallait rester. »

Mais, minute ! Quelqu’un va bientôt le sortir de sa torpeur… une jeune femme !

Château de Sully

Château de Sully | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

La rencontre avec Mlle de Livry

Mais oui ! Comme pour briser son ennui (et le jeune Arouet ne s’y attendait sûrement pas), il tombe amoureux.

Elle s’appelle Suzanne Catherine Gravet de Corsembleu de Livry. Ils ont le même âge.

Elle est la fille du secrétaire du roi au bureau des Finances, la nièce du maire de Sully-sur-Loire, qui par ses fonctions, venait souvent au château accompagné de la jeune femme.

Des cours de théâtre

Il se trouve que le château disposait alors d’un petit théâtre, au 1er étage du donjon. Les acteurs faisaient partie des invités qui défilaient chez le duc de Sully.

Mais on manque cruellement d’actrices ! Ça tombe bien : Suzanne veut devenir comédienne. Elle a néanmoins besoin de leçons.

Voltaire, sous le charme, accepte de lui apprendre les bases, lui donnant des cours de déclamations. Il lui offre le rôle de Jocaste, dans son Œdipe.

Que voulez-vous : Voltaire l’aime et l’encourage dans sa vocation naissante…

La belle part avec un autre

Suzanne partira pour Paris, entrera à la Comédie-Française sous le nom de Mlle de Livry.

Mais leur amour ne survivra pas à la fin de l’exil à Sully. Un certain Génonville, ami que Voltaire avait invité à Sully, séduira la jeune fille... et la « kidnappera » !

Elle écrira plus tard à un Voltaire hors de lui :

« Si M. de Génonville m’a enlevée, c’est que nous avons pensé tous les deux que si je restais plus longtemps avec vous, vous ne feriez jamais plus rien. Je vous laisse aux neuf Muses, adieu ! »

Conclusion

Le régent Philippe d’Orléans finit par pardonner au jeune Arouet, en octobre 1716. Le futur Voltaire reprend sa vie de patachon.

Jusqu’à ce soir où, pendant un dîner chez un certain Beauregard, il se vante d’être à l’origine de satires sur le régent et sa fille. Sauf que... Beauregard est un espion dudit régent !

Le 16 mai 1717, hop : François-Marie Arouet, 23 ans, partait croupir 11 mois en prison à la Bastille.

Il reviendra au château de Sully-sur-Loire, mais cette fois-ci de son plein gré, invité en 1719…

Sources

  • Jules Loiseleur. Voltaire au château de Sully : d’après des documents inédits. 1866.
  • Auriane de Viry. Article en ligne sur le site de la Revue des Deux Mondes. 16 mai 1717 : le jeune Voltaire est embastillé. 16/05/2023.
  • Ulysse Maynard. Voltaire, sa vie et ses œuvres (tome1). 1867.
  • Claude des Presles. Les Sully. Éditions France Empire, 1997.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !