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Les Énervés de Jumièges et leur tombeau

Quand : 650

Le tombeau | Philippe Alès / CC-BY-SA
Abbaye Lieu de sépulture Torture Bénédictin Clovis II Abbaye de Jumièges

Que dit la légende des Énervés ?

Des fistons en rébellion

La Révolution l'a bien abîmé, mais il est encore debout, ce tombeau ! Qui répond au nom étrange d'Énervés...

La tradition dit que ce sont les gisants des deux fils du roi des Francs Clovis II et de la reine Bathilde, héros malgré eux de la légende que voici...

Ces deux princes profitent du départ de leur paternel en pèlerinage en Terre Sainte pour comploter. Pour le détrôner, tiens !

Sauf que leur père apprend la chose, et revient au galop en France pour voir ce qui se trame vraiment dans son dos. Au début, il tente de négocier, de les calmer.

Mais rien à faire ! Les fistons provoquent même leur vieux père en combat singulier !

À bout... de nerfs !

Clovis finit par les envoyer en justice. La sentence ?

On leur brûle (« cuit » comme on dit alors) les nerfs des bras et des jambes : en fait, l'énervation est un vieux supplice qui consiste à brûler ou couper les nerfs des membres d'un condamné !

Afin de rendre la personne handicapée, incapable de bouger. Énervé, littéralement... sans nerf !

Et vogue, la barque

Une fois ce sympathique supplice accompli, on les installe dans une petite embarcation que l'on envoie voguer sur la Seine.

Advienne que pourra de ces deux-là, grommelle Clovis en regardant s'éloigner le frêle esquif.

Ensuite, que se passe-t-il ? Le courant finit par porter les deux rejetons de Paris jusqu’à Jumièges, devant l'abbaye.

Là, le fondateur de l’abbaye en personne, saint Philibert, les recueille et les persuade de rester, pour se consacrer à la prière. Les deux frères acceptent et passeront à Jumièges le reste de leur vie…

Gisants des Énervés

Gisants des Énervés | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

La réalité derrière la légende !

Problème, la légende comporte des petits points d'ombre ! Tenez :

  • Clovis II n'a jamais eu de fils qui se sont rebellés contre lui (Thierry, Clotaire et Childéric sont d'ailleurs rois après lui) ;
  • Clovis n'a jamais mis un pied en terre Sainte, pour un quelconque pèlerinage ;
  • La Seine, de Paris (où les deux fils auraient été mis sur leur radeau) à Jumièges, fait environ 200 kilomètres. Et l'on nous dit qu'une simple barque aurait parcouru ce voyage sans encombres, arrivant à bon port sans rames ni voiles ?
Gisants des Énervés : détail

Gisants des Énervés : détail | ©Anecdotrip / CC-BY-NC-SA

Les gisants des Énervés

Une origine royale ?

Toutefois, il reste le célèbre tombeau dit des Énervés, exposé dans le logis abbatial de Jumièges.

Bien que très abîmé, on y voit les gisants de deux hommes couchés côte à côte, mains jointes, les pieds reposant sur des lions, le corps couvert d'une tunique à fleurs de lys et la tête ceinte d'une couronne...

Tout indique chez eux une origine noble, voire royale. Une sculpture assez représentative des gisants de l'époque de saint Louis.

Étrange, pour un fait qui se serait passé vers le 7e siècle, vous ne trouvez pas ?

Qui sont-ils vraiment ?

Le plus célèbre moine de l’abbaye normande et chroniqueur Guillaume de Jumièges, au 11e siècle, n’a jamais parlé de cette histoire.

Le moine-historien Mabillon, lui, évoque l’histoire, mais ne pense pas qu’il s’agisse des fils de Clovis II.

Pour lui, les gisants représenteraient plutôt le duc de Bavière Tassillon et son fils Théodon, reclus à Jumièges pour avoir soulevé les Huns contre le cousin de Tassilon, l’empereur Charlemagne…

Mais encore une fois : le tombeau est typique de l’art funéraire médiéval du 13e siècle… Le mystère sur l’identité des gisants de Jumièges, dit des Énervés, semble entier !

Sources

  • Hyacinthe Langlois. Essai sur les Énervés de Jumièges. 1838.
  • Jean-Pierre Colignon. Curiosités et énigmes de l'histoire de France. Le Livre de Poche, 2010.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !