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Fontainebleau, Napoléon III et Eugénie : la dictée à vous rendre fou !

Quand : juin 1868 - juillet 1868

Château de Fontainebleau (S. Mieusement, 1870) | ©Rijksmuseum / CC0
Château Festivités Prosper Mérimée Napoléon III Eugénie de Montijo Château de Fontainebleau

Fontainebleau, Compiègne ?

La célèbre dictée de Mérimée a-t-elle eu lieu à Compiègne, comme on le voit souvent, ou à Fontainebleau ?

Il semble que ce soit au château de Fontainebleau, en juin-juillet 1868 !

La dictée infernale

Napoléon III et l'impératrice Eugénie de Montijo s'installent à Fontainebleau entre 1852 et 1870 : le château tient, grâce à eux, un rôle éclatant !

Le couple impérial y reçoit tout le gratin du second Empire. À Fontainebleau, l’étiquette est nettement moins sévère qu’à Compiègne ou aux Tuileries.

Propice aux divertissements, aux jeux !

C’est d’ailleurs à l’occasion d’une petite réception informelle, qu’est organisée la célèbre et très difficile dictée, proposée (disent certaines versions) par Prosper Mérimée !

L'impératrice Eugénie

L'impératrice Eugénie (1880) | ©Rijksmuseum / CC0

Mérimée ? L’ami de la famille Montijo ! L’écrivain auteur de Colomba ou Carmen, mais aussi académicien, puis inspecteur général des Monuments Historiques...

Allez, tout de suite, voici le texte de cette dictée infernale !

« Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier.
Quelles que soient, et quelque exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d’en vouloir pour cela à ces fusiliers jumeaux et mal bâtis, et de leur infliger une raclée, alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurs coreligionnaires.
Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entraîner à prendre un râteau et qu’elle s’est crue obligée de frapper l’exigeant marguillier sur son omoplate vieillie. Deux alvéoles furent brisés ; une dysenterie se déclara suivie d’une phtisie, et l’imbécillité du malheureux s’accrut.
"- Par saint Martin ! quelle hémorragie !" s’écria ce bélître.
À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière. »
Mérimée (C. Reutlinger, 1872)

Mérimée (C. Reutlinger, 1872) | ©Wien Museum / CC0

Le nombre de fautes !

Le nombre de fautes varie selon les auteurs et les récits.

  • Napoléon III aurait fait 43 fautes (75 selon d’autres sources comme Maurice Allem, 11 selon Octave Feuillet) ;
  • Alexandre Dumas 24 ;
  • l’ambassadeur d’Autriche, le prince Richard de Metternich... 3 seulement !

Dumas lui aurait d’ailleurs dit : « Quand allez-vous vous présenter à l’Académie pour nous apprendre l’orthographe ? »

La palme serait revenue à l'impératrice Eugénie, avec 62 fautes…

Oui, mais madame, née Maria Eugenia de Palafox-Portocarrero de Guzmán y Kirkpatrick, n'est pas d’origine française ! On lui pardonnera…

Napoléon III (1858)

Napoléon III (1858) | ©Rijksmuseum / CC0

Où a vraiment eu lieu la dictée de Mérimée ?

Où et quand a-t-elle eu lieu, oui ? Compiègne ? Fontainebleau ? Il semble difficile de démêler le vrai du faux. Il existe beaucoup d’incohérences !

Il y a pourtant plusieurs relations, faites par des témoins : notamment la princesse Pauline de Metternich, l’épouse du fils du célèbre ambassadeur autrichien Clément de Metternich.

Elle décrit une dictée aux « participes véritablement torturants » !

Des versions qui diffèrent !

Certains participants, comme l’écrivain et journaliste Léo Claretie, situent la dictée à Compiègne.

Mais plusieurs sources, comme Pauline de Metternich ou le romancier Octave Feuillet (tous deux participants), situent, eux, la dictée à Fontainebleau, en 1868.

Et là où la princesse de Metternich écrit que Mérimée a rédigé, dicté le texte, puis corrigé les copies, Feuillet ne le mentionne jamais comme auteur du texte !

Octave Feuillet (1872)

Octave Feuillet (1872) | ©Rijksmuseum / CC0

Ainsi, Feuillet (qui est bibliothécaire du château de Fontainebleau depuis 1867), écrit à son épouse, fin juin ou début juillet 1868 :

« On a joué à la dictée. C’est M. de Montbrun qui dictait des mots impossibles, chacun écrivait en se torturant l’esprit. »

En plus, Prosper Mérimée n’est pas présent à Compiègne, en 1868. Ni à Fontainebleau, d’ailleurs... mais à Cannes !

Mérimée lui-même ne mentionne jamais cette dictée, dans ses correspondances. Pas plus dans celles du comte de Maugny, qui évoque sobrement que « quelqu’un proposa une dictée. »

Conclusion

Il semble que la mystérieuse dictée dite de Mérimée n’ait jamais été dictée... par Prosper Mérimée.

Et malgré son nom de dictée de Compiègne, elle n’aurait pas eu lieu à Compiègne, mais au château de Fontainebleau, en juin-juillet 1868 !

Sources

  • Robert Grossmann. Comtesse de Pourtalès : une cour française dans l'Alsace. 1995.
  • Yannick Portebois. Les arrhes de la douairière : histoire de la dictée de Mérimée ou l'orthographe sous le Second Empire. Droz, 2006.
  • Serge Bathendier. Les carnets des Guides Bleus : le Château de Fontainebleau dévoilé. Hachette, 2017.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !