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1848. Quand le château de Pau devenait la prison de l'émir Abd El-Kader

Quand : 29 avril 1848 - 2 novembre 1848

Abd el-Kader | ©Rijksmuseum / CC0
Château Destin tragique Emprisonnement Emir Abd el-Kader Château de Pau

La gifle du dey : le début d'une longue conquête

L’émir Abd El-Kader, c’est l’un des fondateurs de l’État algérien moderne.

La fière figure de la résistance à l’armée française, pendant la conquête du pays, entamée en juin 1830.

Mais comment tout ceci avait commencé, déjà ?

Un corps expéditionnaire débarque à Alger pour ramener le dey (chef de la régence d’Alger depuis 1671) à la raison.

On l'accuse d’avoir humilié le consul français d’Alger, en le giflant avec son éventail !

La France lui devait de l’argent : oh, l'histoire d’un prêt vieux de plus de 30 ans, contracté pour acheter du blé...

30 ans, c'est long ! Alors le dey s’impatiente : lors d’une audience avec le consul, le dey lui rappelle qu'il faudrait honorer sa dette.

Le consul lui répond sur un ton qui ne plait pas au dey... qui le gifle !

En représailles, Alger est prise. Ça ne suffisait pas : la conquête commençait.

Abd El-Kader, la résistance face aux Français

Mais tout ne se passe pas comme prévu : des poches de résistance se créent dans les montagnes, à l’intérieur du pays.

Les peuples qui y vivent élisent un émir, un chef de guerre, pour organiser la résistance, fin 1832.

Ce sera Abd El-Kader, le fils d’un cheikh érudit. Il organise la lutte contre les Français, jette les bases de l’État algérien actuel.

La guerre fera rage, les Français massacrant les populations, espérant ainsi venir à bout de la résistance. Affaibli, sa capitale assiégée, l’émir capitule, le 23 décembre 1847.

Il demande à pouvoir s'installer en Égypte : le duc d’Aumale, le fils de Louis-Philippe Ier, le lui promet. Il ne tiendra jamais parole !

Direction la France, pour une longue captivité : Toulon, puis les châteaux de Pau et d’Amboise.

Soumission d'Abd El-Kader (1847)

Soumission d'Abd El-Kader (1847) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

L'émir et sa suite arrivent en France

L’émir quitte l’Afrique du Nord avec sa suite de 87 personnes, dont :

  • sa mère Zhora ;
  • son épouse Khiva, ses cinq concubines ;
  • ses trois enfants légitimes, quatre naturels ;
  • un oncle, trois frères.

Tout ce petit monde accoste à Toulon, d’abord.

Mais en février 1848, l’émir apprend la chute de Louis-Philippe et l’avènement de la Deuxième République.

Un peu d’espoir ? Une liberté prochaine ? L’espoir de voir se réaliser ce qu’on lui avait promis, à avoir aller vivre en Égypte ?

Non ! La France le garde prisonnier !

Abd El-Kader (vers 1870)

Abd El-Kader (vers 1870) | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Abd El-Kader à Pau

La France transfère l'émir à Pau le 29 avril 1848, avec des conditions de détention un tout petit peu moins terribles.

Il reste prisonnier du château natal d'Henri IV jusqu’en novembre.

« Celui qui avait le désert pour horizon, qui commandait à des tribus innombrables et à des guerriers invincibles, qui était craint comme un conquérant, obéi comme un roi, vénéré comme un pontife et presque adoré comme un Dieu, qui pendant 15 ans n’avait cessé de parcourir de toute la vitesse du cheval arabe un champ de bataille plus vaste qu’un empire, qui la veille encore pouvait aller sur son coursier de guerre, des frontières du Maroc aux bords de la mer Rouge, et prier à la Mecque après s’être battu aux portes de Fez, vit tout à coup s’élever autour de lui les quatre murs d’un château-fort. »

En traversant la France, vers sa prison paloise, Abd El-Kader soupire :

« Ces plaines verdoyantes, ces vergers, ces forêts, ces fleuves et ces rivières ; tant d'abondance ! Quel besoin ont les Français d'occuper mon pays de sable et de rochers ? »
Château de Pau

Château de Pau | ©Xiquinhosilva / Flickr / CC-BY

Le deuil d'une liberté perdue

A Pau, l’ancien château d’Henri IV a été, pour l’occasion, vidé de son mobilier.

20 soldats sont chargés de la garde de l’émir et sa cour, nuit et jour.

Celui que Victor Hugo appelle « l’émir pensif, féroce et doux » ne quitte jamais sa cage dorée, clamant :

« Un Arabe en deuil ne sort pas de sa tente, et je suis dans le plus grand deuil de ma vie, le deuil de ma liberté ! »

Méditation, lecture, écriture remplissent ses longues journées. On lui procure une bible, un coran, il discute et compare les livres saints.

Les notables de la ville lui écrivent, il répond à tous. A une dame lui vantant la beauté de la ville et du château, l'émir répond :

« Ah ! Madame ! je suis prisonnier. Vous auriez beau m’accabler sous des fleurs, que leur parfum n’arriverait pas jusqu’à moi ! »
Abd El-Kader (Disdéri, 1860-70)

Abd El-Kader (Disdéri, 1860-70) | ©Rijksmuseum / CC0

Une ville bienveillante

La monotonie de cette grise captivité est brisée par les visites des notables et des dames de la ville.

Tous manifestent beaucoup de sympathie, à l’égard de ce grand personnage.

L’émir discute volontiers de philosophie, de sciences, de religion, notamment avec l’évêque d’Alger, Mgr Dupuch.

Une amitié très forte liera d'ailleurs durablement les deux hommes.

Le poids des regrets

L’émir Abd El-Kader quitte Pau pour une autre prison, le château d’Amboise, le 2 novembre 1848.

« En quittant Pau, je laisse un morceau de mon cœur », soupire-t-il alors.

Hélas, oui : il y avait enterré trois de ses enfants...

Voici à ce propos le poème qu'il écrit à Amboise, pour la nouvelle année 1851 :

« Je pleure ceux que j’aime, Plein d’ivresse, je m’endormis confiant dans leur amitié ; A mon réveil, je me suis trouvé seul, Accablé du poids des regrets. »
Château de Pau (J. Vigier, 1853)

Château de Pau (J. Vigier, 1853) | ©The Metropolitan Museum of Art / CC0

Le départ d'Abd El-Kader

Au moment du départ de Pau, on dit à l'émir qu’il laisserait une trace indélébile, dans l’histoire du château, après tous les grands hommes qui lui avait succédé !

Il répond simplement :

« Je vous le dis à vous et je voudrais pouvoir le dire à tous les Béarnais : jamais je n’oublierai la cordialité de leur accueil, et partout où je serai transporté, mes vœux et mes prières seront toujours pour eux ! »

Il laisse aussi le peu d’argent dont il dispose aux bonnes œuvres :

« Je suis pauvre, mais il y a dans votre ville des personnes plus pauvres que moi. Priez le vénérable curé de Saint-Martin de leur distribuer cette offrande en mon nom ! »
Abd El-Kader

Abd El-Kader | ©Rijksmuseum / CC0

Vers une autre prison à Amboise

Dans sa prison à Amboise, les conditions se dégradent. Finies, les promenades à l’extérieur, finies les visites.

Place au plus profond des ennuis. Et au froid. Et aux maladies. Rhumatismes, bronchites, rachitisme…

25 Algériens de la suite de l’émir meurent à Amboise, bien loin des dunes couleur de bronze du désert.

Le capitaine Boissonnet, au fait des coutumes arabes, autorise finalement l’installation au château de nattes et de tapis, de poêles, et l'introduction d'une nourriture plus saine à base d’épices et de fruits.

En décembre 1852, l’empereur Napoléon III libère enfin Abd El-Kader. L’émir pouvait retourner sur ses terres d’or cuivré et de lumière.

Abd El-Kader reviendra en France en 1865 et en 1867, pour l’Exposition Universelle, avant d’achever sa longue vie à Damas, le 26 mai 1883, à l'âge de 74 ans.

Sources

  • Abbé Pioneau. Vie de Mgr. Dupuch, premier évêque d'Alger. 1866.
  • Gustave Bascle de Lagrèze. Le château de Pau : son histoire et sa description. 1854.
  • Collectif. Abd el-Kader. Actes Sud, 2022.
  • Article Salles Psyché et Saint-Jean : lieux-mémoires de la captivité de l’émir Abd el-Kader sur le site officiel du château de Pau https://chateau-pau.fr.

À propos de l'auteure

Vinaigrette
Passionnée par les balades et par l'Histoire, grande ou petite... pleine de détails bien croustillants, si possible !