Alfred de Vigny au Maine-Giraud

De 1838 à 1855

A. de Vigny (Achille Devéria, 1825)A. de Vigny (Achille Devéria, 1825) | ©The Metropolitan Museum of Art / CC0

Rendez-vous en Charente chez Alfred de Vigny, l’écrivain et poète romantique !

Le manoir familial

Alfred de Vigny devient propriétaire du manoir en 1838 et y emmène son épouse malade, Lydia, se refaire une santé au grand air.

Le domaine appartenait à la sœur de sa mère, Sophie de Baraudin.

Mais tout commence lorsqu'Armand de Baraudin, le grand-père d'Alfred de Vigny, achète le logis en 1768 et s’y retire en 1780.

En 1790, il le quitte pour Loches, avec sa fille cadette, qui y avait épousé Léon de Vigny (papa d'Alfred). L’épouse d’Armand, Jeanne, avait conservé le logis charentais, pendant ce temps...

Alfred écrit dans ses mémoires (vu dans Alfred de Vigny : morceaux choisis, René Canat, 1914) :

« Ce fut en 1823 que je vis pour la première fois cette contrée et que j’entrai dans ce vieux manoir de mes pères maternels, isolé au milieu des bois et des rochers m’appartient aujourd’hui. Je fus épris de son aspect mélancolique et grave et en même temps je me sentis le cœur serré à la vue de ses ruines. L’une de ses tours, celle de l’Orient, avait été rasée et il n’en restait que quelques grandes pierres chargées de mousses et de lierre qu’une pelouse de gazon a, depuis, remplacées. Les longues salles dévastées avaient perdu la moitié de leurs tapisseries, de leurs boiseries et de leurs meubles. Le souffle de la Terreur avait traversé cette demeure, mais sans pouvoir la déraciner... »

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Il décrit ensuite le manoir (vu dans Alfred de Vigny : morceaux choisis, René Canat, 1914) :

« Ce manoir du Maine, nommé Maine-Giraud, est posé sur cette petite colline comme sur un piédestal formé d’un seul roc. Une pelouse de verdure épaisse recouvre le dos arrondi de ce rocher, jusqu’au pied des murailles grisâtres. Deux chemins creusés dans la pierre et bordés de haies épaisses et de grands ormeaux tombent au pied de cette petite montagne que gravit la longue avenue. »

Et encore (vu dans Alfred de Vigny : morceaux choisis, René Canat, 1914) :

« La nature a dessiné dans ses formes quelque chose d’un couvent et d’une forteresse. Les murailles épaisses sont enfoncées dans les rocs et fendues de tout côté par des meurtrières qui protègent les vallons et d’où les coulevrines pouvaient balayer les avenues par un feu pareil à celui d’un bataillon carré. Une tour octogone allonge son toit d’ardoise aigu comme celui d’un clocher. À ses flancs s’attache une tourelle couronnée d’un petit dôme d’où sort une longue flèche. Les grandes salles boisées de chêne noir sculpté semblent avoir réuni à la fois des moines et des chevaliers. Leurs larges embrasures ont des bancs de bois noir pareils à des stalles préparées pour les prières et les méditations... Une enceinte de murailles, de maisons, de chais, de granges, de pressoirs et de fours, encadre une large cour carrée où pouvaient jadis manœuvrer cinq cents lances. »

Le logisLe logis | ©JLPC / Wikimedia Commons / CC BY-SA

5 ans au Maine-Giraud

Vigny arrive au logis en septembre 1838, reste deux mois, file en Angleterre régler la mort de son beau-père, puis se cloître 9 ans à Paris.

En tout, il vit ici avec son épouse Lydia 5 ans, épisodiquement, entre mai 1838 et septembre 1855.

1838, l’année de toutes les crises... Sa mère vient de mourir, il l’a veillée pendant 4 ans, pendant sa maladie.

Il doit aussi soigner son épouse. Et il vient juste de quitter sa maîtresse, Marie Dorval !

Le manoir était devenu un hôpital, avec Lydia toujours malade.

Le logisLe logis | ©rosier / Wikimedia Commons / CC-BY-SA

La vie de Vigny au logis

Alfred de Vigny, au manoir, s’implique dans la vie des villageois.

Il emmène un enfant du village goûter au salon, bavarde avec les paysans, organise des fêtes et pièces de théâtre, crée des bibliothèques publiques, joue aux cartes avec ses domestiques...

Il fait même poser du parquet dans les chambres des gens du village, dont les enfants tombent sans arrêt malades : cela aurait pour avantage d'assainir ces pièces...

Il obtient aussi le recrutement d’un instituteur pour le village…

Pour son domaine, jusqu’alors laissé à l’abandon, il s’implique beaucoup.

Et quand il n’est pas là, Alfred laisse des lettres à son régisseur, M. Soulet.

Celui-ci s’occupe de sa vigne, surtout, mais aussi de la distillation, du bornage, de la « vente de la vache noire », du « bœuf boiteux à engraisser », de la vente de l’eau-de-vie (du cognac), des tuiles à changer sur les toits...

Il écrit le 8 septembre 1849 :

« Tout se porte bien dans ma chaumière, et je viens de faire poser des paratonnerres sur ses grandes tours, parce qu’il nous vient de la mer de beaux orages qui durent trois jours et trois nuits sans s’interrompre. » (Correspondance, 1816-1863, Alfred de Vigny, 1905)

Cabinet de travail de VignyCabinet de travail de Vigny | ©Guiguilacagouille / CC-BY-SA

L'inspiration, la nuit

Alfred de Vigny crée beaucoup au manoir ! Ici ont été conçus La mort du loup, La bouteille à la mer, Les Destinées.

Entre 10 heures le soir et 4 heures du matin, il écrit tout son saoul et se couche à l’aube : « C’est toujours à minuit, à l’heure des esprits, que la Poésie devient ma souveraine maîtresse », écrit-il.

Dans une pièce de la tour, il a son cabinet où il s'isole :

« J’ai reçu beaucoup de livres, ici. Je les lis mieux et d’un esprit plus calme que je ne l’eusse fait à Paris et j’écris en silence dans les intervalles de mes inquiétudes nouvelles. » (Correspondance, 1816-1863, Alfred de Vigny, 1905)

Vigny par NadarVigny par Nadar | ©Paris Musées - Musée Carnavalet / CC0

Tout a une fin

Lydia meurt en décembre 1862. Terrassé par le chagrin, malade d’un cancer depuis 1860, harcelé par sa maîtresse, Vigny songe à quitter définitivement Paris, pour retrouver le calme de son manoir.

Mais il meurt en septembre 1863, avant d'être inhumé au cimetière Montmartre.

Bien loin de sa Charente !

Sources

  • René Canat. Alfred de Vigny : morceaux choisis. 1914.
  • Lettres à Philippe Soulet régisseur au Maine-Giraud et à Eugène Paignon. 1965.