Né à Nantes, tour à tour français, anglais, italien, navire marchand, yacht puis navire-école, rebaptisé 3 fois, ayant échappé à mille catastrophes mortelles, c’est l’un des plus anciens trois-mâts européens, le seul en France en état de naviguer.
En cette année 2024 de Jeux Olympiques de Paris, il est chargé d’amener la flamme depuis Athènes jusqu’à Marseille : un voyage d’une douzaine de jours, entre fin avril et début mai 2024 !
1 - L'origine de son nom
Le célèbre trois-mâts porte le nom Belem : une ville du Brésil, où le commanditaire du bateau, l’armateur nantais Fernand Crouan, possède un comptoir commercial, établi par un ancêtre au début du 19e siècle.
D’ailleurs, la proue du Belem portait la devise du Brésil : Ordem e Progesso (ordre et progrès) !
2 - C'est un (robuste) navire marchand
C’est le 10 juin 1896 que le Belem est mis à l’eau à Nantes, sorti des chantiers voisins de Chantenay-sur-Loire.
À la base, il doit servir pour le transport de marchandises.
Car ne vous fiez pas à son air fragile et élégant ! Avec sa coque toute en acier, il peut transporter jusqu’à 675 tonnes de chargement !
Il achève sa carrière de navire marchand en 1914, devenu obsolète face aux bateaux à vapeur, alors en plein boom.
3 - Sa principale mission ? Transporter du cacao
Le Belem transporte notamment des fèves de cacao d’Amérique du Sud (spécialement de Para au Brésil), ainsi que du sucre de canne des Antilles, pour le compte du célèbre chocolatier Menier, son principal client.
D’ailleurs, l’armateur du Belem, Fernand Crouan, baptise 3 de ses navires :
- l’Émile Menier (fils du fondateur de la dynastie Menier, inventeur de la tablette de chocolat) ;
- le Claire Menier (épouse d’Émile Menier) ;
- le Noisiel (commune de Seine-et-Marne où se trouve l’usine de chocolat, depuis 1825).
Ces bateaux de commerce sont surnommés « Antillais », car affectés à ce type de trajets commerciaux, entre Nantes et la mer des Caraïbes.
4 - Son premier voyage est un flop !
Deux imprévus émaillent le voyage inaugural du Belem, le 31 juillet 1896, entre Saint-Nazaire et Montevideo.
Arrivé en novembre dans la capitale uruguayenne, il charge une cargaison de 121 mules, destinées à tracter le tramway tout neuf de la ville brésilienne de Belém.
Mais une tempête soudaine, violente, balaie le bateau, un jour de novembre 1896 !
Dans les cales, on retrouve les mules paniquées, ballottées, toutes blessées après s’être débattues... à tel point que 6 d’entre elles sont mortes piétinées.
Rebelote quelques jours plus tard : un incendie se déclare dans la cale !
Malgré l’équipage qui lutte des heures, aucune mule ne réchappe au brasier.
Le navire, qui a subi de graves dégâts, doit vite rentrer dans ses chantiers natals de Nantes, se faire réparer, avant de reprendre ses activités vers les Antilles.
5 - Le Belem échappe à un cheveu à la célèbre et terrible éruption de la montagne Pelée
Le 8 mai 1902, au petit matin, le volcan de la montagne Pelée, en Martinique, vient d’entrer en éruption !
L’impressionnante nuée ardente de 1 000°C dévale les pentes et rase la capitale et plus grande ville de l’île, Saint-Pierre, tuant en moins de 5 minutes les 30 000 habitants.
L'éruption détruit également son port, où le Belem avait prévu d’accoster. Faute de place, il mouille de l’autre côté de l’île... ce qui le sauve !
Le navire nantais assiste de loin, incrédule, à la scène : les seuls dégâts que l'équipage constate ne sont « que » des cendres, recouvrant leur trois-mâts.
« C’est l’enfer qui dévore la terre », dira plus tard un matelot du Belem.
6 - Le Belem devient un luxueux yacht anglais
Entre 1914 et 1923, le Belem est reconverti en navire de plaisance britannique, par le 2e duc de Westminster Hugh Richard Arthur Grosvenor.
Un proche du roi George V d’Angleterre, épicurien marié 4 fois, amant de Coco Chanel. Hé oui, vous avez bien entendu : le Belem transformé en yacht !
De cette époque datent de luxueux aménagements, comme ceux qui existent toujours : l’escalier à double révolution et les décors en acajou de Cuba.
Ainsi refait, le Belem peut accueillir 40 passagers, équipage inclus !
Le duc profite de l’ancien navire de commerce pour longer la côte Atlantique, afin de se rendre jusqu’à sa villa Woolsack, qu’il possède dans les Landes près de Mimizan.
L’ambiance à bord de l’ancien navire marchand a bien changé, avec soirées mondaines où les grands crus coulent à flots !
7 - Le Belem échappe de justesse à un raz-de-marée au Japon
En 1923, le Belem continue sa vie de bateau de plaisance, mais avec un nouveau propriétaire (et un nouveau nom, le Fantôme II) : l’industriel et célèbre brasseur irlandais Arthur Guinness.
Fana de navigation, il entreprend notamment un tour du monde d’un an, de mars 1923 à mars 1924 : un peu plus de 31 000 milles marins (près de 58 000 km) !
Encore une fois, l’ancien Belem échappe au pire… Guinness avait prévu, début septembre 1923, de s’arrêter à Yokohama, au Japon.
Un imprévu l’en empêche, cela le sauvera : la ville et ses environs se font détruire par un puissant séisme, suivi d’un raz-de-marée et d’un incendie. 142 000 personnes perdent la vie…
8 - Raid aérien sur le Belem !
Au début des années 1940, le Belem ne voyage plus ; il doit rester à son mouillage habituel à l’île de Wight, dans la Manche, durant toute la Seconde Guerre.
Par miracle (mais quelle bonne étoile veille sur le Belem ?), notre bateau échappe à la destruction, une énième fois !
Un bombardement aérien allemand de la Luftwaffe frappe la région et l’île, de nuit.
Seul le grand mât du Belem est détruit. Ainsi que la totalité des voiles, qui partent en fumée... entreposées dans un hangar voisin, qui lui, se fait bombarder !
9 - Le Belem est abandonné de longues années à Venise
En 1951, le Belem change une nouvelle fois de nationalité, devient italien !
De navire marchand et yacht britannique, le voilà converti en navire-école pour la fondation Cini, accueillant chaque été 250 élèves se préparant aux métiers de la marine marchande.
Mais en 1965, l’ancien Belem est jugé trop vétuste pour remplir sa mission. Il reste dont tristement abandonné à quai plus de 5 ans, sur l’île vénitienne de San Giorgio Maggiore, connue pour son ancien couvent, face au palais des Doges.
Lorsque les carabinieri (les policiers italiens), entreprennent de la restaurer, ils ne savent pas qu’ils s’embarquent dans un gouffre financier sans fond : finalement, dans l’incapacité de payer les travaux, ils le laissent aux chantiers navals de Venise, en dédommagement !
Qui le mettent en vente... pour une lire symbolique, en 1976.
10 - Après 83 ans, le Belem retrouve la France
En 1979, le fameux trois-mâts retrouve son nom et sa patrie d’origine, redécouvert par un Français passionné de vieux gréements.
Racheté par la Caisse d'Épargne, le Belem regagne son port d’origine, Nantes, où on le trouve depuis fréquemment amarré quai de la Fosse.
Aujourd’hui navire-école pour mousses de la Marine nationale, le Belem n’en a pas fini de naviguer, puisqu’on le retrouve en mai 2024 à transporter la flamme olympique d’Athènes jusqu’à Marseille.
Une nouvelle page de légende !
Sources
- Didier Chirat. Les petites histoires de l'Histoire de France. Larousse, 2018.
- Michel Germain. Nantes et les derniers grands voiliers. In Association bretonne et Union régionaliste bretonne (141e congrès, tome 123). 2014.
- Jean Noli. Le siècle du Belem. Gallimard, 1996.
- Nicolas Plantrou. Belem : le roman d'une aventure. Éditions du Rocher, 2020.